LETTRE ENCYCLIQUE
1. Lamour dans la vérité (Caritas in veritate), dont Jésus sest fait le témoin dans sa vie terrestre et surtout par sa mort et sa résurrection, est la force dynamique essentielle du vrai développement de chaque personne et de lhumanité tout entière. Lamour « caritas » est une force extraordinaire qui pousse les personnes à sengager avec courage et générosité dans le domaine de la justice et de la paix. Cest une force qui a son origine en Dieu, Amour éternel et Vérité absolue. Chacun trouve son bien en adhérant, pour le réaliser pleinement, au projet que Dieu a sur lui: en effet, il trouve dans ce projet sa propre vérité et cest en adhérant à cette vérité quil devient libre (cf. Jn 8, 22). Défendre la vérité, la proposer avec humilité et conviction et en témoigner dans la vie sont par conséquent des formes exigeantes et irremplaçables de la charité. En effet, celle-ci « trouve sa joie dans ce qui est vrai » (1 Co 13, 6). Toute personne expérimente en elle un élan pour aimer de manière authentique: lamour et la vérité ne labandonnent jamais totalement, parce quil sagit là de la vocation déposée par Dieu dans le cur et dans lesprit de chaque homme. Jésus Christ purifie et libère de nos pauvretés humaines la recherche de lamour et de la vérité et il nous révèle en plénitude linitiative damour ainsi que le projet de la vie vraie que Dieu a préparée pour nous. Dans le Christ, lamour dans la vérité devient le Visage de sa Personne. Cest notre vocation daimer nos frères dans la vérité de son dessein. Lui-même, en effet, est la Vérité (cf. Jn 14, 6). 2. La charité est la voie maîtresse de la doctrine sociale de lÉglise. Toute responsabilité et tout engagement définis par cette doctrine sont imprégnés de lamour qui, selon lenseignement du Christ, est la synthèse de toute la Loi (cf. Mt 22, 36-40). Lamour donne une substance authentique à la relation personnelle avec Dieu et avec le prochain. Il est le principe non seulement des micro-relations: rapports amicaux, familiaux, en petits groupes, mais également des macro-relations: rapports sociaux, économiques, politiques. Pour lÉglise instruite par lÉvangile , lamour est tout parce que, comme lenseigne saint Jean (cf. 1 Jn 4, 8.16) et comme je lai rappelé dans ma première Lettre encyclique, « Dieu est amour » (Deus caritas est): tout provient de lamour de Dieu, par lui tout prend forme et tout tend vers lui. Lamour est le don le plus grand que Dieu ait fait aux hommes, il est sa promesse et notre espérance. Je suis conscient des dévoiements et des pertes de sens qui ont marqué et qui marquent encore la charité, avec le risque conséquent de la comprendre de manière erronée, de lexclure de la vie morale et, dans tous les cas, den empêcher la juste mise en valeur. Dans les domaines social, juridique, culturel, politique, économique, cest-à-dire dans les contextes les plus exposés à ce danger, il nest pas rare quelle soit déclarée incapable dinterpréter et dorienter les responsabilités morales. De là, découle la nécessité de conjuguer lamour avec la vérité non seulement selon la direction indiquée par saint Paul: celle de la « veritas in caritate » (Ep 4, 15), mais aussi, dans celle inverse et complémentaire, de la « caritas in veritate ». La vérité doit être cherchée, découverte et exprimée dans l « économie » de lamour, mais lamour à son tour doit être compris, vérifié et pratiqué à la lumière de la vérité. Nous aurons ainsi non seulement rendu service à lamour, illuminé par la vérité, mais nous aurons aussi contribué à rendre crédible la vérité en en montrant le pouvoir dauthentification et de persuasion dans le concret de la vie sociale. Ce qui, aujourdhui, nest pas rien compte tenu du contexte social et culturel présent qui relativise la vérité, sen désintéresse souvent ou sy montre réticent. 3. Par son lien étroit avec la vérité, lamour peut être reconnu comme une expression authentique dhumanité et comme un élément dimportance fondamentale dans les relations humaines, même de nature publique. Ce nest que dans la vérité que lamour resplendit et quil peut être vécu avec authenticité. La vérité est une lumière qui donne sens et valeur à lamour. Cette lumière est, en même temps, celle de la raison et de la foi, par laquelle lintelligence parvient à la vérité naturelle et surnaturelle de lamour: lintelligence en reçoit le sens de don, daccueil et de communion. Dépourvu de vérité, lamour bascule dans le sentimentalisme. Lamour devient une coque vide susceptible dêtre arbitrairement remplie. Cest le risque mortifère quaffronte lamour dans une culture sans vérité. Il est la proie des émotions et de lopinion contingente des êtres humains ; il devient un terme galvaudé et déformé, jusquà signifier son contraire. La vérité libère lamour des étroitesses de lémotivité qui le prive de contenus relationnels et sociaux, et dun fidéisme qui le prive dun souffle humain et universel. Dans la vérité, lamour reflète en même temps la dimension personnelle et publique de la foi au Dieu biblique qui est à la fois « Agapè » et « Lógos »: Charité et Vérité, Amour et Parole. 4. Parce que lamour est riche de vérité, lhomme peut le comprendre dans la richesse de ses valeurs, le partager et le communiquer. La vérité est, en effet, lógos qui crée un diá-logos et donc une communication et une communion. En aidant les hommes à aller au-delà de leurs opinions et de leurs sensations subjectives, la vérité leur permet de dépasser les déterminismes culturels et historiques et de se rencontrer dans la reconnaissance de la substance et de la valeur des choses. La vérité ouvre et unit les intelligences dans le lógos de lamour: lannonce et le témoignage chrétien de lamour résident en cela. Dans le contexte socioculturel actuel, où la tendance à relativiser le vrai est courante, vivre la charité dans la vérité conduit à comprendre que ladhésion aux valeurs du Christianisme est un élément non seulement utile, mais indispensable pour lédification dune société bonne et dun véritable développement humain intégral. Un Christianisme de charité sans vérité peut facilement être confondu avec un réservoir de bons sentiments, utiles pour la coexistence sociale, mais nayant quune incidence marginale. Dans ce cas, Dieu naurait plus une place propre et authentique dans le monde. Sans la vérité, la charité est reléguée dans un espace restreint et relationnellement appauvri. Dans le dialogue entre les connaissances et leur mise en uvre, elle est exclue des projets et des processus de construction dun développement humain denvergure universelle. 5. La charité est amour reçu et donné. Elle est « grâce » (cháris). Sa source est lamour jaillissant du Père pour le Fils, dans lEsprit Saint. Cest un amour qui, du Fils, descend sur nous. Cest un amour créateur, qui nous a donné lexistence; cest un amour rédempteur, qui nous a recréés. Un amour révélé et réalisé par le Christ (cf. Jn 13, 1) et « répandu dans nos curs par lEsprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5, 5). Objets de lamour de Dieu, les hommes sont constitués sujets de la charité, appelés à devenir eux-mêmes les instruments de la grâce, pour répandre la charité de Dieu et pour tisser des liens de charité. La doctrine sociale de lÉglise répond à cette dynamique de charité reçue et
donnée. Elle est 6. « Caritas in veritate » est un principe sur lequel se fonde la doctrine sociale de lÉglise, un principe qui prend une forme opératoire par des critères dorientation de laction morale. Je désire en rappeler deux de manière particulière; ils sont dictés principalement par lengagement en faveur du développement dans une société en voie de mondialisation: la justice et le bien commun. La justice tout dabord. Ubi societas, ibi ius : toute société élabore un système propre de justice. La charité dépasse la justice, parce que aimer cest donner, offrir du mien à lautre ; mais elle nexiste jamais sans la justice qui amène à donner à lautre ce qui est sien, cest-à-dire ce qui lui revient en raison de son être et de son agir. Je ne peux pas « donner » à lautre du mien, sans lui avoir donné tout dabord ce qui lui revient selon la justice. Qui aime les autres avec charité est dabord juste envers eux. Non seulement la justice nest pas étrangère à la charité, non seulement elle nest pas une voie alternative ou parallèle à la charité: la justice est « inséparable de la charité » [1], elle lui est intrinsèque. La justice est la première voie de la charité ou, comme le disait Paul VI, son « minimum » [2], une partie intégrante de cet amour en « actes et en vérité » (1 Jn 3, 18) auquel lapôtre saint Jean exhorte. Dune part, la charité exige la justice: la reconnaissance et le respect des droits légitimes des individus et des peuples. Elle sefforce de construire la cité de lhomme selon le droit et la justice. Dautre part, la charité dépasse la justice et la complète dans la logique du don et du pardon [3]. La cité de lhomme nest pas uniquement constituée par des rapports de droits et de devoirs, mais plus encore, et dabord, par des relations de gratuité, de miséricorde et de communion. La charité manifeste toujours lamour de Dieu, y compris dans les relations humaines. Elle donne une valeur théologale et salvifique à tout engagement pour la justice dans le monde. 7. Il faut ensuite prendre en grande considération le bien commun. Aimer quelquun, cest vouloir son bien et mettre tout en uvre pour cela. À côté du bien individuel, il y a un bien lié à la vie en société: le bien commun. Cest le bien du nous-tous, constitué dindividus, de familles et de groupes intermédiaires qui forment une communauté sociale [4]. Ce nest pas un bien recherché pour lui-même, mais pour les personnes qui font partie de la communauté sociale et qui, en elle seule, peuvent arriver réellement et plus efficacement à leur bien. Cest une exigence de la justice et de la charité que de vouloir le bien commun et de le rechercher. uvrer en vue du bien commun signifie dune part, prendre soin et, dautre part, se servir de lensemble des institutions qui structurent juridiquement, civilement, et culturellement la vie sociale qui prend ainsi la forme de la pólis, de la cité. On aime dautant plus efficacement le prochain que lon travaille davantage en faveur du bien commun qui répond également à ses besoins réels. Tout chrétien est appelé à vivre cette charité, selon sa vocation et selon ses possibilités dinfluence au service de la pólis. Cest là la voie institutionnelle politique peut-on dire aussi de la charité, qui nest pas moins qualifiée et déterminante que la charité qui est directement en rapport avec le prochain, hors des médiations institutionnelles de la cité. Lengagement pour le bien commun, quand la charité lanime, a une valeur supérieure à celle de lengagement purement séculier et politique. Comme tout engagement en faveur de la justice, il sinscrit dans le témoignage de la charité divine qui, agissant dans le temps, prépare léternité. Quand elle est inspirée et animée par la charité, laction de lhomme contribue à lédification de cette cité de Dieu universelle vers laquelle avance lhistoire de la famille humaine. Dans une société en voie de mondialisation, le bien commun et lengagement en sa faveur ne peuvent pas ne pas assumer les dimensions de la famille humaine tout entière, cest-à-dire de la communauté des peuples et des Nations [5], au point de donner forme dunité et de paix à la cité des hommes, et den faire, en quelque sorte, la préfiguration anticipée de la cité sans frontières de Dieu. 8. En publiant en 1967 lencyclique Populorum progressio, mon vénérable prédécesseur Paul VI a éclairé le grand thème du développement des peuples de la splendeur de la vérité et de la douce lumière de la charité du Christ. Il a affirmé que lannonce du Christ est le premier et le principal facteur de développement [6] et il nous a laissé la consigne davancer sur la route du développement de tout notre cur et de toute notre intelligence [7], cest-à-dire avec lardeur de la charité et la sagesse de la vérité. Cest la vérité originelle de lamour de Dieu grâce qui nous est donnée qui ouvre notre vie au don et qui rend possible lespérance en un « développement ( ) de tout lhomme et de tous les hommes » [8], en passant « de conditions moins humaines à des conditions plus humaines » [9], et cela en triomphant des difficultés inévitablement rencontrées sur le chemin. Plus de quarante ans après la publication de cette encyclique, je désire honorer la mémoire de Paul VI, et rendre hommage à ce grand Pontife, en reprenant ses enseignements sur le développement humain intégral et en me plaçant sur la voie quils ont tracée, afin de les actualiser aujourdhui. Ce processus dactualisation commença avec lencyclique Sollicitudo rei socialis, par laquelle le Serviteur de Dieu Jean-Paul II voulut commémorer la publication de Populorum progressio à loccasion de son vingtième anniversaire. Jusque là une telle commémoration navait été réservée quà lencyclique Rerum novarum. Vingt ans après, jexprime ma conviction que Populorum progressio mérite dêtre considérée comme lencyclique « Rerum novarum de lépoque contemporaine » qui éclaire le chemin de lhumanité en voie dunification. 9. Lamour dans la vérité caritas in veritate est un grand défi pour lÉglise dans un monde sur la voie dune mondialisation progressive et généralisée. Le risque de notre époque réside dans le fait quà linterdépendance déjà réelle entre les hommes et les peuples, ne corresponde pas linteraction éthique des consciences et des intelligences dont le fruit devrait être lémergence dun développement vraiment humain. Seule la charité, éclairée par la lumière de la raison et de la foi, permettra datteindre des objectifs de développement porteurs dune valeur plus humaine et plus humanisante. Le partage des biens et des ressources, doù provient le vrai développement, nest pas assuré par le seul progrès technique et par de simples relations de convenance, mais par la puissance de lamour qui vainc le mal par le bien (cf. Rm 12, 21) et qui ouvre à la réciprocité des consciences et des libertés. LÉglise na pas de solutions techniques à offrir [10] et ne prétend « aucunement simmiscer dans la politique des États » [11]. Elle a toutefois une mission de vérité à remplir, en tout temps et en toutes circonstances, en faveur dune société à la mesure de lhomme, de sa dignité et de sa vocation. Sans vérité, on aboutit à une vision empirique et sceptique de la vie, incapable de sélever au-dessus de lagir, car inattentive à saisir les valeurs et parfois pas même le sens des choses qui permettraient de la juger et de lorienter. La fidélité à lhomme exige la fidélité à la vérité qui, seule, est la garantie de la liberté (cf. Jn 8, 32) et de la possibilité dun développement humain intégral. Cest pour cela que lÉglise la recherche, quelle lannonce sans relâche et quelle la reconnaît partout où elle se manifeste. Cette mission de vérité est pour lÉglise une mission impérative. Sa doctrine sociale est un aspect particulier de cette annonce: cest un service rendu à la vérité qui libère. Ouverte à la vérité, quel que soit le savoir doù elle provient, la doctrine sociale de lÉglise est prête à laccueillir. Elle rassemble dans lunité les fragments où elle se trouve souvent disséminée et elle lintroduit dans le vécu toujours nouveau de la société des hommes et des peuples [12].
LE MESSAGE DE 10. Plus de quarante ans après la publication de Populorum progressio, sa relecture nous invite à rester fidèles à son message de charité et de vérité, en le replaçant dans le cadre du magistère propre de Paul VI et, plus généralement, à lintérieur de la tradition de la doctrine sociale de lÉglise. Par ailleurs, il faut évaluer les multiples termes dans lesquels se pose aujourdhui, à la différence dalors, le problème du développement. Le point de vue correct est donc celui de la Tradition de la foi des Apôtres [13], patrimoine ancien et nouveau hors duquel Populorum progressio serait un document privé de racines et les questions liées au développement se réduiraient uniquement à des données dordre sociologique. 11. Populorum progressio fut publiée immédiatement après la conclusion du Concile ecuménique Vatican II. Dès ses premiers paragraphes, lencyclique affirme son rapport intime avec le Concile [14]. Vingt ans plus tard, dans Sollicitudo rei socialis, Jean-Paul II soulignait à son tour le rapport fécond de cette encyclique avec le Concile et, en particulier, avec la Constitution pastorale Gaudium et Spes [15]. Je désire moi aussi rappeler ici limportance du Concile Vatican II pour lencyclique de Paul VI et, à sa suite, pour tout le magistère social des Souverains Pontifes. Le Concile a approfondi tout ce qui appartient depuis toujours à la vérité de la foi, cest-à-dire que lÉglise, qui est au service de Dieu, est au service du monde selon les critères de lamour et de la vérité. Cest précisément de cette vision que partait Paul VI pour nous faire part de deux grandes vérités. La première est que toute lÉglise, dans tout son être et tout son agir, tend à promouvoir le développement intégral de lhomme quand elle annonce, célèbre et uvre dans la charité. Elle a un rôle public qui ne se borne pas à ses activités dassistance ou déducation, mais elle déploie toutes ses énergies au service de la promotion de lhomme et de la fraternité universelle quand elle peut jouir dun régime de liberté. Dans bien des cas, cette liberté est entravée par des interdictions et des persécutions, ou même limitée quand la présence publique de lÉglise est réduite à ses seules activités caritatives. La seconde vérité est que le développement authentique de lhomme concerne unitairement la totalité de la personne dans chacune de ses dimensions [16]. Sans la perspective dune vie éternelle, le progrès humain demeure en ce monde privé de souffle. Enfermé à lintérieur de lhistoire, il risque de se réduire à la seule croissance de lavoir. Lhumanité perd ainsi le courage dêtre disponible pour les biens plus élevés, pour les grandes initiatives désintéressées quexige la charité universelle. Lhomme ne se développe pas seulement par ses propres forces, et le développement ne peut pas lui être simplement offert. Tout au long de lhistoire, on a souvent pensé que la création dinstitutions suffisait à garantir à lhumanité la satisfaction du droit au développement. Malheureusement, on a placé une confiance excessive dans de telles institutions, comme si elles pouvaient atteindre automatiquement le but recherché. En réalité, les institutions ne suffisent pas à elles seules, car le développement intégral de lhomme est dabord une vocation et suppose donc que tous prennent leurs responsabilités de manière libre et solidaire. Un tel développement demande, en outre, une vision transcendante de la personne; il a besoin de Dieu: sans Lui, le développement est nié ou confié aux seules mains de lhomme, qui sexpose à la présomption de se sauver par lui-même et finit par promouvoir un développement déshumanisé. Dautre part, seule la rencontre de Dieu permet de ne pas voir dans lautre que lautre [17], mais de reconnaître en lui limage de Dieu, parvenant ainsi à découvrir vraiment lautre et à développer un amour qui devienne soin de lautre pour lautre [18]. 12. Le lien existant entre Populorum progressio et le Concile Vatican II ne représente pas une coupure entre le magistère social de Paul VI et celui des Papes qui lavaient précédé, étant donné que le Concile est un approfondissement de ce magistère dans la continuité de la vie de lÉglise [19]. En ce sens, certaines subdivisions abstraites de la doctrine sociale de lÉglise sont aujourdhui proposées qui ne contribuent pas à clarifier les choses, car elles appliquent à lenseignement social pontifical des catégories qui lui sont étrangères. Il ny a pas deux typologies différentes de doctrine sociale, lune pré-conciliaire et lautre post-conciliaire, mais un unique enseignement, cohérent et en même temps toujours nouveau [20]. Il est juste de remarquer les caractéristiques propres à chaque encyclique, à lenseignement de chaque Pontife, mais sans jamais perdre de vue la cohérence de lensemble du corpus doctrinal [21]. Cohérence ne signifie pas fermeture, mais plutôt fidélité dynamique à une lumière reçue. La doctrine sociale de lÉglise éclaire dune lumière qui ne change pas les problèmes toujours nouveaux qui surgissent [22]. Cela préserve le caractère à la fois permanent et historique de ce « patrimoine » doctrinal [23] qui, avec ses caractéristiques spécifiques, appartient à la Tradition toujours vivante de lÉglise [24]. La doctrine sociale est construite sur le fondement transmis par les Apôtres aux Pères de lÉglise, reçu et approfondi ensuite par les grands Docteurs chrétiens. Cette doctrine renvoie en définitive à lHomme nouveau, au « dernier Adam qui est devenu lêtre spirituel qui donne vie » (1 Co 15, 45), principe de la charité qui « ne passera jamais » (1 Co 13, 8). Elle reçoit le témoignage des saints et de tous ceux qui ont donné leurs vies pour le Christ Sauveur dans le domaine de la justice et de la paix. En elle, sexprime la mission prophétique des Souverains Pontifes: guider dune manière apostolique lÉglise du Christ et discerner les nouvelles exigences de lévangélisation. Cest pour ces raisons que Populorum progressio, inscrite dans le grand courant de la Tradition, est encore en mesure de nous parler aujourdhui. 13. Outre son rapport avec lensemble de la doctrine sociale de lÉglise, Populorum progressio est étroitement liée à tout le magistère de Paul VI et, en particulier, à son magistère social. Cet enseignement social fut dune grande portée: il réaffirma limportance déterminante de lÉvangile pour lédification dune société de liberté et de justice, dans la perspective idéale et historique dune civilisation animée par lamour. Paul VI comprit clairement que la question sociale était devenue mondiale [25] et il saisit linteraction existant entre lélan vers lunification de lhumanité et lidéal chrétien dune unique famille des peuples, solidaire dans une commune fraternité. Il désigna le développement, compris au sens humain et chrétien, comme le cur du message social chrétien et proposa la charité chrétienne comme force principale au service du développement. Poussé par le désir de rendre lamour du Christ pleinement visible à ses contemporains, Paul VI affronta avec décision dimportantes questions morales, sans céder aux faiblesses culturelles de son temps. 14. Dans la lettre apostolique Octogesima adveniens de 1971, Paul VI aborda par la suite la question du sens de la politique et du péril représenté par des visions utopiques et idéologiques qui compromettaient sa qualité éthique et humaine. Il sagit de sujets étroitement liés au développement. Malheureusement, les idéologies néfastes ne cessent de fleurir. Conscient du grand danger de confier à la seule technique tout le processus du développement, qui ainsi demeurerait sans ligne directrice, Paul VI avait déjà mis en garde contre lidéologie technocratique, particulièrement forte aujourdhui [26]. Considérée en elle-même, la technique est ambivalente. Si, dun côté, certains tendent aujourdhui à lui confier la totalité du processus de développement, de lautre on assiste à la naissance didéologies qui nient in toto lutilité même du développement, quelles considèrent comme foncièrement antihumain et exclusivement facteur de dégradation. Ainsi, finit-on par condamner non seulement lorientation parfois fausse et injuste que les hommes donnent au progrès, mais aussi les découvertes scientifiques elles-mêmes qui, utilisées à bon escient, constituent au contraire une occasion de croissance pour tous. Lidée dun monde sans développement traduit une défiance à légard de lhomme et de Dieu. Cest donc une grave erreur que de mépriser les capacités humaines de contrôler les déséquilibres du développement ou même dignorer que lhomme est constitutivement tendu vers l« être davantage ». Absolutiser idéologiquement le progrès technique ou aspirer à lutopie dune humanité revenue à son état premier de nature sont deux manières opposées de séparer le progrès de son évaluation morale et donc de notre responsabilité. 15. Deux autres documents de Paul VI sont moins directement liés à la doctrine sociale: lencyclique Humanæ vitæ du 25 juillet 1968 et lexhortation apostolique Evangelii nuntiandi du 8 décembre 1975. Ils sont cependant très importants pour discerner le sens pleinement humain du développement proposé par lÉglise. Il est donc opportun de les lire en les mettant eux aussi en relation avec Populorum progressio. Lencyclique Humanæ vitæ souligne la signification tout à la fois unitive et procréative de la sexualité, posant ainsi comme fondement de la société le couple des époux, homme et femme, qui se reçoivent lun lautre dans la distinction et dans la complémentarité; en tant donc que couple ouvert à la vie [27]. Il ne sagit pas ici de morale purement individuelle: Humanæ vitæ montre les liens forts qui existent entre éthique de la vie et éthique sociale, en inaugurant une thématique magistérielle qui a pris corps dans différents documents, et finalement dans lencyclique Evangelium vitæ de Jean-Paul II [28]. LÉglise propose avec force ce lien entre éthique de la vie et éthique sociale, consciente quune société ne peut « avoir des bases solides si, tout en affirmant des valeurs comme la dignité de la personne, la justice et la paix, elle se contredit radicalement en acceptant et en tolérant les formes les plus diverses de mépris et de violation de la vie humaine, surtout si elle est faible et marginalisée » [29]. Lexhortation apostolique Evangelii nuntiandi, pour sa part, est très étroitement lié au développement, car « lévangélisation comme lécrivait Paul VI ne serait pas complète si elle ne tenait pas compte des rapports concrets et permanents qui existent entre lÉvangile et la vie personnelle et sociale de lhomme [30]. « Entre lévangélisation et la promotion humaine développement, libération il y a en effet des liens profonds » [31] : conscient de cela, Paul VI établissait un rapport clair entre lannonce du Christ et la promotion de la personne dans la société. Le témoignage de la charité du Christ à travers des uvres de justice, de paix et de développement fait partie de lévangélisation car, pour Jésus Christ, qui nous aime, lhomme tout entier est important. Cest sur ces enseignements importants que se fonde laspect missionnaire [32] de la doctrine sociale de lÉglise en tant que composante essentielle de lévangélisation [33]. La doctrine sociale de lÉglise est annonce et témoignage de foi. Cest un instrument et un lieu indispensable de léducation de la foi. 16. Dans Populorum progressio, Paul VI a voulu nous dire, avant tout, que le progrès, dans son apparition et son essence, est une vocation: « Dans le dessein de Dieu, chaque homme est appelé à se développer car toute vie est vocation » [34]. Cest précisément ce qui autorise lÉglise à intervenir dans les problématiques du développement. Si ce dernier ne concernait que des aspects techniques de la vie de lhomme, et non le sens de sa marche dans lHistoire avec ses autres frères ou la définition du but dun tel cheminement, lÉglise naurait aucun titre pour en parler. Comme Léon XIII dans Rerum novarum [35], Paul VI était conscient de sacquitter dun devoir propre à sa charge, en projetant la lumière de lÉvangile sur les questions sociales de son temps [36]. Définir le développement comme une vocation, cest reconnaître, dun côté, quil naît dun appel transcendant et, de lautre, quil est incapable de se donner par lui-même son sens propre ultime. Ce nest pas sans raison que le mot vocation revient dans un autre passage de lencyclique, où il est affirmé: « Il ny a donc dhumanisme vrai quouvert à lAbsolu, dans la reconnaissance dune vocation, qui donne lidée vraie de la vie humaine » [37]. Cette vision du développement est le cur de Populorum progressio et anime toutes les réflexions de Paul VI sur la liberté, la vérité et la charité dans le développement. Cest la raison principale pour laquelle cette encyclique demeure encore actuelle de nos jours. 17. La vocation est un appel qui réclame une réponse libre et responsable. Le développement humain intégral suppose la liberté responsable de la personne et des peuples: aucune structure ne peut garantir ce développement en dehors et au-dessus de la responsabilité humaine. Les « messianismes prometteurs, mais bâtisseurs dillusions » [38] fondent toujours leurs propositions sur la négation de la dimension transcendante du développement, étant certains de lavoir tout entier à leur disposition. Cette fausse sécurité se change en faiblesse, parce quelle entraîne lasservissement de lhomme, réduit à nêtre quun moyen en vue du développement, tandis que lhumilité de celui qui accueille une vocation se transforme en autonomie véritable, parce quelle libère la personne. Paul VI ne doute pas que des obstacles et des conditionnements freinent le développement, mais il reste certain que « chacun demeure, quelles que soient les influences qui sexercent sur lui, lartisan principal de sa réussite ou de son échec » [39]. Cette liberté concerne le développement qui a lieu sous nos yeux, mais aussi, en même temps, les situations de sous-développement qui ne sont pas le fruit du hasard ou dune nécessité historique, mais qui dépendent de la responsabilité humaine. Cest pourquoi « les peuples de la faim interpellent aujourdhui de façon dramatique les peuples de lopulence » [40]. Il sagit là encore dune vocation, en tant quappel adressé par des hommes libres à des hommes libres pour quils prennent ensemble leurs responsabilités. Paul VI eut une compréhension pénétrante de limportance des structures économiques et des institutions, mais il perçut tout aussi clairement quelles étaient des instruments au service de la liberté humaine. Le développement ne peut être intégralement humain que sil est libre; seul un régime de liberté responsable lui permet de se développer de façon juste. 18. Outre la liberté, le développement intégral de lhomme comme vocation exige aussi quon en respecte la vérité. La vocation au progrès pousse les hommes à « faire, connaître et avoir plus, pour être plus » [41]. Mais là est le problème: que signifie « être davantage »? À cette question, Paul VI répond en indiquant la caractéristique essentielle du développement authentique: il « doit être intégral, cest-à-dire promouvoir tout homme et tout lhomme » [42]. Parmi les différentes visions concurrentes de lhomme proposées dans la société daujourdhui plus encore quau temps de Paul VI, la vision chrétienne a la particularité daffirmer et de justifier la valeur inconditionnelle de la personne humaine et le sens de sa croissance. La vocation chrétienne au développement aide à poursuivre la promotion de tous les hommes et de tout lhomme. Paul VI écrivait: « Ce qui compte pour nous, cest lhomme, chaque homme, chaque groupement dhommes, jusquà lhumanité tout entière » [43]. La foi chrétienne se préoccupe du développement sans sappuyer sur des privilèges ou sur des positions de pouvoir, ni même sur les mérites des chrétiens qui ont certes existé et existent encore aujourdhui en même temps que leurs limites naturelles [44], mais uniquement sur le Christ, à qui doit être rapportée toute vocation authentique au développement humain intégral. LÉvangile est un élément fondamental du développement, parce quen lui le Christ, « dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement lhomme à lui-même » [45]. Eduquée par son Seigneur, lÉglise scrute les signes des temps et les interprète et elle offre au monde « ce quelle possède en propre: une vision globale de lhomme et de lhumanité » [46]. Précisément parce que Dieu prononce le plus grand « oui » à lhomme [47], lhomme ne peut faire moins que de souvrir à lappel divin pour réaliser son propre développement. La vérité du développement réside dans son intégralité: sil nest pas de tout lhomme et de tout homme, le développement nest pas un vrai développement. Tel est le centre du message de Populorum progressio, valable aujourdhui et toujours. Le développement humain intégral sur le plan naturel, réponse à un appel du Dieu créateur [48], demande de trouver sa vérité dans un « humanisme transcendant, qui ( ) donne [à lhomme] sa plus grande plénitude: telle est la finalité suprême du développement personnel » [49]. La vocation chrétienne à ce développement concerne donc le plan naturel comme le plan surnaturel; cest pourquoi « quand Dieu est éclipsé, notre capacité de reconnaître lordre naturel, le but et le bien commence à sévanouir » [50]. 19. Enfin, la vision du développement en tant que vocation implique que la charité y occupe une place centrale. Dans lencyclique Populorum progressio, Paul VI observait que les causes du sous-développement ne sont pas dabord dordre matériel. Il nous invitait à les rechercher dans dautres dimensions de lhomme: tout dabord dans la volonté, qui se désintéresse souvent des devoirs de la solidarité; en second lieu, dans la pensée qui ne parvient pas toujours à orienter convenablement le vouloir. Cest pourquoi, dans la quête du développement, il faut « des sages de réflexion profonde, à la recherche dun humanisme nouveau, qui permette à lhomme moderne de se retrouver lui-même » [51]. Mais ce nest pas tout. Le sous-développement a une cause encore plus profonde que le déficit de réflexion: cest « le manque de fraternité entre les hommes et entre les peuples » [52]. Cette fraternité, les hommes pourront-ils jamais la réaliser par eux seuls? La société toujours plus mondialisée nous rapproche, mais elle ne nous rend pas frères. La raison, à elle seule, est capable de comprendre légalité entre les hommes et détablir une communauté de vie civique, mais elle ne parvient pas à créer la fraternité. Celle-ci naît dune vocation transcendante de Dieu Père, qui nous a aimés en premier, nous enseignant par lintermédiaire du Fils ce quest la charité fraternelle. Dans sa présentation des différents niveaux du processus de développement de lhomme, Paul VI, après avoir mentionné la foi, mettait au sommet « lunité dans la charité du Christ qui nous appelle tous à participer en fils à la vie du Dieu vivant, Père de tous les hommes » [53]. 20. Ces perspectives, ouvertes par Populorum progressio, demeurent fondamentales pour donner une envergure et une orientation à notre engagement au service du développement des peuples. Populorum progressio souligne ensuite à plusieurs reprises lurgence des réformes [54] et demande que, face aux grands problèmes de linjustice dans le développement des peuples, on agisse avec courage et sans retard. Cette urgence est dictée aussi par lamour dans la vérité. Cest la charité du Christ qui nous pousse: « Caritas Christi urget nos » (2 Co 5, 14). Lurgence nest pas seulement inscrite dans les choses; elle ne découle pas uniquement de la pression des événements et des problèmes, mais aussi de ce qui est proprement en jeu: la réalisation dune authentique fraternité. Limportance de cet objectif est telle quelle exige que nous la comprenions pleinement et que nous nous mobilisions concrètement avec le cur, pour faire évoluer les processus économiques et sociaux actuels vers des formes pleinement humaines.
LE DÉVELOPPEMENT HUMAIN 21. Paul VI avait une vision structurée du développement. Par le terme « développement », il voulait désigner avant tout lobjectif de faire sortir les peuples de la faim, de la misère, des maladies endémiques et de lanalphabétisme. Du point de vue économique, cela signifiait leur participation active, dans des conditions de parité, à la vie économique internationale; du point de vue social, leur évolution vers des sociétés instruites et solidaires; du point de vue politique, la consolidation de régimes démocratiques capables dassurer la paix et la liberté. Après tant dannées, alors que nous observons avec préoccupation le développement des crises qui se succèdent en ces temps, ainsi que leurs conséquences, nous nous demandons dans quelle mesure les attentes de Paul VI ont été satisfaites par le modèle de développement qui a été adopté au cours de ces dernières décennies. Nous devons reconnaître que les préoccupations de lÉglise étaient fondées quant aux capacités de lhomme purement technologique à savoir se donner des objectifs réalistes et à toujours savoir bien gérer les outils à sa disposition. Le profit est utile si, en tant que moyen, il est orienté vers un but qui lui donne un sens relatif aussi bien quant à la façon de le créer que de lutiliser. La visée exclusive du profit, sil est produit de façon mauvaise ou sil na pas le bien commun pour but ultime, risque de détruire la richesse et dengendrer la pauvreté. Le développement économique que Paul VI souhaitait devait être en mesure de produire une croissance réelle, qui sétende à tous et soit concrètement durable. Il est vrai que le développement a eu lieu et quil continue dêtre un facteur positif qui a tiré de la misère des milliards de personnes et que, récemment encore, il a permis à de nombreux pays de devenir des acteurs réels de la politique internationale. Toutefois, il faut reconnaître que ce même développement économique a été et continue dêtre obéré par des déséquilibres et par des problèmes dramatiques, mis encore davantage en relief par lactuelle situation de crise. Celle-ci nous met sans délai face à des choix qui sont toujours plus étroitement liés au destin même de lhomme, qui par ailleurs ne peut faire abstraction de sa nature. Les forces techniques employées, les échanges planétaires, les effets délétères sur léconomie réelle dune activité financière mal utilisée et, qui plus est, spéculative, les énormes flux migratoires, souvent provoqués et ensuite gérés de façon inappropriée, lexploitation anarchique des ressources de la terre, nous conduisent aujourdhui à réfléchir sur les mesures nécessaires pour résoudre des problèmes qui non seulement sont nouveaux par rapport à ceux quaffrontait le Pape Paul VI, mais qui ont aussi, et surtout, un impact décisif sur le bien présent et futur de lhumanité. Les aspects de la crise et de ses solutions, ainsi quun nouveau et possible développement futur, sont toujours plus liés les uns aux autres. Ils simpliquent réciproquement et ils requièrent des efforts renouvelés de compréhension globale et une nouvelle synthèse humaniste. La complexité et la gravité de la situation économique actuelle nous préoccupent à juste titre, mais nous devons assumer avec réalisme, confiance et espérance les nouvelles responsabilités auxquelles nous appelle la situation dun monde qui a besoin de se renouveler en profondeur au niveau culturel et de redécouvrir les valeurs de fond sur lesquelles construire un avenir meilleur. La crise nous oblige à reconsidérer notre itinéraire, à nous donner de nouvelles règles et à trouver de nouvelles formes dengagement, à miser sur les expériences positives et à rejeter celles qui sont négatives. La crise devient ainsi une occasion de discernement et elle met en capacité délaborer de nouveaux projets. Cest dans cette optique, confiants plutôt que résignés, quil convient daffronter les difficultés du moment présent. 22. Le cadre du développement est aujourdhui multipolaire. Les acteurs et les causes du sous-développement comme du développement sont multiples, les erreurs et les mérites le sont aussi. Cette donnée devrait conduire à se libérer des idéologies, qui simplifient souvent de façon artificielle la réalité, et à examiner avec objectivité la dimension humaine des problèmes. La ligne de démarcation entre pays riches et pauvres nest plus aussi nette quaux temps de Populorum progressio, comme lavait déjà indiqué Jean-Paul II [55]. La richesse mondiale croît en termes absolus, mais les inégalités augmentent. Dans les pays riches, de nouvelles catégories sociales sappauvrissent et de nouvelles pauvretés apparaissent. Dans des zones plus pauvres, certains groupes jouissent dune sorte de surdéveloppement où consommation et gaspillage vont de pair, ce qui contraste de façon inacceptable avec des situations permanentes de misère déshumanisante. « Le scandale de disparités criantes » [56] demeure. La corruption et le non-respect des lois existent malheureusement aussi bien dans le comportement des acteurs économiques et politiques des pays riches, anciens et nouveaux, que dans les pays pauvres. Ceux qui ne respectent pas les droits humains des travailleurs dans les différents pays sont aussi bien de grandes entreprises multinationales que des groupes de production locale. Les aides internationales ont souvent été détournées de leur destination, en raison dirresponsabilités qui se situent aussi bien dans la chaîne des donateurs que des bénéficiaires. Nous pouvons aussi identifier le même enchainement de responsabilités dans les causes immatérielles et culturelles du développement et du sous-développement. Il existe des formes excessives de protection des connaissances de la part des pays riches à travers lutilisation trop stricte du droit à la propriété intellectuelle, particulièrement dans le domaine de la santé. En même temps, dans certains pays pauvres, subsistent des modèles culturels et des normes sociales de comportement qui ralentissent le processus de développement. 23. Bien que de façon fragile et non homogène, de nombreuses régions du globe se sont aujourdhui développées, entrant au nombre des grandes puissances destinées à jouer un rôle important dans lavenir. Il faut néanmoins souligner quil nest pas suffisant de progresser du seul point de vue économique et technologique. Il faut avant tout que le développement soit vrai et intégral. Sortir du retard économique, fait en soi positif, ne résout pas la problématique complexe de la promotion de lhomme, ni pour les pays bénéficiaires de ces avancées, ni pour les pays déjà économiquement développés, ni non plus pour ceux qui restent pauvres; ceux-ci peuvent également souffrir, en dehors des anciennes formes dexploitation, des conséquences néfastes provenant dune croissance marquée par des dévoiements et des déséquilibres. Après lécroulement du système économique et politique des pays communistes de lEurope de lEst et la fin de ce que lon appelait les blocs opposés, une nouvelle réflexion globale sur le développement aurait été nécessaire. Jean-Paul II lavait demandée, lui qui, en 1987, avait indiqué lexistence de ces blocs comme une des principales causes du sous-développement [57], car la politique soustrayait des ressources à léconomie et à la culture et lidéologie étouffait la liberté. En 1991, après les événements de 1989, il avait aussi réclamé que, à la fin des blocs, corresponde une refonte globale du développement, non seulement dans ces pays, mais aussi en Occident et dans les régions du monde qui se développaient [58]. Cela nest advenu que partiellement et continue dêtre un devoir réel quil convient dhonorer, éventuellement en mettant vraiment à profit les choix nécessaires pour dépasser les problèmes économiques actuels. 24. Le monde que le Pape Paul VI avait sous les yeux, même si le processus de socialisation était déjà suffisamment avancé pour quil puisse parler dune question sociale devenue mondiale, était alors beaucoup moins intégré que celui daujourdhui. Lactivité économique et la fonction politique sexerçaient en grande partie à lintérieur du même espace et pouvaient donc sappuyer lune sur lautre. Lactivité de production sinscrivait principalement à lintérieur des frontières nationales et les investissements financiers avaient une dimension plutôt limitée à létranger, si bien que la politique de nombreux États pouvait encore fixer les priorités de léconomie et, dune certaine façon, en orienter le fonctionnement avec les instruments dont elle disposait. Pour cette raison, lencyclique Populorum progressio assignait un rôle central, toutefois de façon non exclusive, aux « pouvoirs publics » [59]. A notre époque, lÉtat se trouve dans la situation de devoir faire face aux limites que pose à sa souveraineté le nouveau contexte commercial et financier international, marqué par une mobilité croissante des capitaux financiers et des moyens de productions matériels et immatériels. Ce nouveau contexte a modifié le pouvoir politique des États. Aujourdhui, fort des leçons données par lactuelle crise économique où les pouvoirs publics de lÉtat sont directement impliqués dans la correction des erreurs et des dysfonctionnements, une évaluation nouvelle de leur rôle et de leur pouvoir semble plus réaliste; ceux-ci doivent être sagement reconsidérés et repensés pour quils soient en mesure, y compris à travers de nouvelles modalités dexercice, de faire face aux défis du monde contemporain. A partir dun rôle mieux ajusté des pouvoirs publics, on peut espérer que se renforceront les nouvelles formes de participation à la politique nationale et internationale qui voient le jour à travers laction des organisations opérant dans la société civile. En ce sens, il est souhaitable que grandissent de la part des citoyens une attention et une participation plus larges à la res publica. 25. Du point de vue social, les systèmes de protection et de prévoyance qui existaient déjà dans de nombreux pays à lépoque de Paul VI, peinent et pourraient avoir plus de mal encore à lavenir à poursuivre leurs objectifs de vraie justice sociale dans un cadre économique profondément modifié. Le marché devenu mondial a stimulé avant tout, de la part de pays riches, la recherche de lieux où délocaliser les productions à bas coût dans le but de réduire les prix dun grand nombre de biens, daccroître le pouvoir dachat et donc daccélérer le taux de croissance fondé sur une consommation accrue du marché interne. En conséquence, le marché a encouragé des formes nouvelles de compétition entre les États dans le but dattirer les centres de production des entreprises étrangères, à travers divers moyens, au nombre desquels une fiscalité avantageuse et la dérégulation du monde du travail. Ces processus ont entraîné laffaiblissement des réseaux de protection sociale en contrepartie de la recherche de plus grands avantages de compétitivité sur le marché mondial, faisant peser de graves menaces sur les droits des travailleurs, sur les droits fondamentaux de lhomme et sur la solidarité mise en uvre par les formes traditionnelles de lÉtat social. Les systèmes de sécurité sociale peuvent perdre la capacité de remplir leur mission dans les pays émergents et dans les pays déjà développés, comme dans des pays pauvres. Là, les politiques déquilibre budgétaire, avec des coupes dans les dépenses sociales, souvent recommandées par les Institutions financières internationales, peuvent laisser les citoyens désarmés face aux risques nouveaux et anciens. Une telle impuissance est accentuée par le manque de protection efficace de la part des associations de travailleurs. Lensemble des changements sociaux et économiques font que les organisations syndicales éprouvent de plus grandes difficultés à remplir leur rôle de représentation des intérêts des travailleurs, encore accentuées par le fait que les gouvernements, pour des raisons dutilité économique, posent souvent des limites à la liberté syndicale ou à la capacité de négociation des syndicats eux-mêmes. Les réseaux traditionnels de solidarité se trouvent ainsi contraints de surmonter des obstacles toujours plus importants. Linvitation de la doctrine sociale de lÉglise, formulée dès Rerum novarum [60], à susciter des associations de travailleurs pour la défense de leurs droits, est donc aujourdhui plus pertinente encore quhier, ceci afin de donner avant tout une réponse immédiate et clairvoyante à lurgence dinstaurer de nouvelles synergies sur le plan international comme sur le plan local. La mobilité du travail, liée à la déréglementation généralisée, a été un phénomène important, qui comportait des aspects positifs par sa capacité à stimuler la création de nouvelles richesses et léchange entre différentes cultures. Toutefois, quand lincertitude sur les conditions de travail, en raison des processus de mobilité et de déréglementation, devient endémique, surgissent alors des formes dinstabilité psychologique, des difficultés à construire un parcours personnel cohérent dans lexistence, y compris à légard du mariage. Cela a pour conséquence lapparition de situations humaines dégradantes, sans parler du gaspillage social. Si lon compare avec ce qui se passait dans la société industrielle du passé, le chômage entraîne aujourdhui des aspects nouveaux de non-sens économique et la crise actuelle ne peut quaggraver une telle situation. La mise à lécart du travail pendant une longue période, tout comme la dépendance prolongée vis-à-vis de lassistance publique ou privée, minent la liberté et la créativité de la personne ainsi que ses rapports familiaux et sociaux avec de fortes souffrances sur le plan psychologique et spirituel. Je voudrais rappeler à tous, et surtout aux gouvernants engagés à donner un nouveau profil aux bases économiques et sociales du monde, que lhomme, la personne, dans son intégrité, est le premier capital à sauvegarder et à valoriser: « En effet, cest lhomme qui est lauteur, le centre et la fin de toute la vie économico-sociale » [61]. 26. Sur le plan culturel, par rapport à lépoque de Paul VI, la différence est encore plus marquée. Les cultures avaient alors des contours plutôt bien définis et possédaient des capacités plus grandes pour se défendre contre les tentatives dhomogénéisation culturelle. Aujourdhui, les occasions dinteraction entre les cultures ont singulièrement augmenté ouvrant de nouvelles perspectives au dialogue interculturel; un dialogue qui, pour être réel, doit avoir pour point de départ la conscience profonde de lidentité spécifique des différents interlocuteurs. On ne doit toutefois pas négliger le fait que la marchandisation accrue des échanges culturels favorise aujourdhui un double danger. On note, en premier lieu, un éclectisme culturel assumé souvent de façon non-critique: les cultures sont simplement mises côte à côte et considérées comme substantiellement équivalentes et interchangeables entre elles. Cela favorise un glissement vers un relativisme qui nencourage pas le vrai dialogue interculturel; sur le plan social, le relativisme culturel conduit effectivement les groupes culturels à se rapprocher et à coexister, mais sans dialogue authentique et, donc, sans véritable intégration. En second lieu, il existe un danger constitué par le nivellement culturel et par luniformisation des comportements et des styles de vie. De cette manière, la signification profonde de la culture des différentes nations, des traditions des divers peuples, à lintérieur desquelles la personne affronte les questions fondamentales de lexistence en vient à disparaître [62]. Éclectisme et nivellement culturel ont en commun de séparer la culture de la nature humaine. Ainsi, les cultures ne savent plus trouver leur mesure dans une nature qui les transcende [63], et elles finissent par réduire lhomme à un donné purement culturel. Quand cela advient, lhumanité court de nouveaux périls dasservissement et de manipulation. 27. Dans bien des pays pauvres, lextrême insécurité vitale, qui est la conséquence des carences alimentaires, demeure et risque de saggraver: la faim fauche encore de très nombreuses victimes comme autant de Lazare auxquels il nest pas permis de sasseoir, comme le souhaitait Paul VI, à la table du mauvais riche [64]. Donner à manger aux affamés (cf. Mt 25, 35.37.42) est un impératif éthique pour lÉglise universelle, qui répond aux enseignements de solidarité et de partage de son Fondateur, le Seigneur Jésus. Éliminer la faim dans le monde est devenu, par ailleurs, à lère de la mondialisation, une exigence à poursuivre pour sauvegarder la paix et la stabilité de la planète. La faim ne dépend pas tant dune carence de ressources matérielles, que dune carence de ressources sociales, la plus importante dentre elles étant de nature institutionnelle. Il manque en effet une organisation des institutions économiques qui soit en mesure aussi bien de garantir un accès régulier et adapté du point de vue nutritionnel à la nourriture et à leau, que de faire face aux nécessités liées aux besoins primaires et aux urgences des véritables crises alimentaires, provoquées par des causes naturelles ou par lirresponsabilité politique nationale ou internationale. Le problème de linsécurité alimentaire doit être affronté dans une perspective à long terme, en éliminant les causes structurelles qui en sont à lorigine et en promouvant le développement agricole des pays les plus pauvres à travers des investissements en infrastructures rurales, en systèmes dirrigation, de transport, dorganisation des marchés, en formation et en diffusion des techniques agricoles appropriées, cest-à-dire susceptibles dutiliser au mieux les ressources humaines, naturelles et socio-économiques les plus accessibles au niveau local, de façon à garantir aussi leur durabilité sur le long terme. Tout cela doit être réalisé en impliquant les communautés locales dans les choix et les décisions relatives à lusage des terres cultivables. Dans une telle perspective, il serait utile de considérer les nouvelles frontières qui sont ouvertes par lusage correct des techniques de production agricole aussi bien traditionnelles quinnovantes, à condition que ces dernières, ayant été étudiées attentivement, soient reconnues convenables, respectueuses de lenvironnement et attentives aux populations les plus défavorisées. En même temps, la question dune juste réforme agraire dans les pays en voie de développement ne devrait pas être négligée. Le droit à lalimentation, de même que le droit à leau, revêtent un rôle important pour lacquisition dautres droits, en commençant avant tout par le droit fondamental à la vie. Il est donc nécessaire que se forme une conscience solidaire qui considère lalimentation et laccès à leau comme droits universels de tous les êtres humains, sans distinction ni discrimination [65]. Il est en outre important de souligner combien la voie de la solidarité pour le développement des pays pauvres peut constituer un projet de solution de la crise mondiale actuelle, comme des hommes politiques et des responsables dInstitutions internationales lont mis en évidence ces derniers temps. En soutenant les pays économiquement pauvres par des plans de financement inspirés par la solidarité, pour quils pourvoient eux-mêmes à la satisfaction de la demande de biens de consommation et de développement provenant de leurs propres citoyens, non seulement on peut produire une vraie croissance économique, mais on peut aussi concourir à soutenir les capacités de production des pays riches qui risquent dêtre compromises par la crise. 28. Un des aspects les plus évidents du développement contemporain est limportance du thème du respect de la vie, qui ne peut en aucun cas être disjoint des questions relatives au développement des peuples. Il sagit dun point qui depuis quelque temps prend une importance toujours plus grande, nous obligeant à élargir les concepts de pauvreté [66] et de sous-développement aux questions liées à laccueil de la vie, surtout là où celle-ci est de diverses manières refusée. Non seulement la pauvreté provoque encore dans de nombreuses régions un taux élevé de mortalité infantile, mais en plusieurs endroits du monde subsistent des pratiques de contrôle démographique par les instances gouvernementales, qui souvent diffusent la contraception et vont jusquà imposer lavortement. Dans les pays économiquement plus développés, les législations contraires à la vie sont très répandues et ont désormais conditionné les coutumes et les usages, contribuant à diffuser une mentalité antinataliste que lon cherche souvent à transmettre à dautres États comme si cétait là un progrès culturel. Certaines Organisations non-gouvernementales travaillent activement à la diffusion de lavortement, et promeuvent parfois dans les pays pauvres ladoption de la pratique de la stérilisation, y compris à linsu des femmes. Par ailleurs, ce nest pas sans fondement que lon peut soupçonner les aides au développement dêtre parfois liées à certaines politiques sanitaires impliquant de fait lobligation dun contrôle contraignant des naissances. Sont également préoccupantes les législations qui admettent leuthanasie comme les pressions de groupes nationaux et internationaux qui en revendiquent la reconnaissance juridique. Louverture à la vie est au centre du vrai développement. Quand une société soriente vers le refus et la suppression de la vie, elle finit par ne plus trouver les motivations et les énergies nécessaires pour uvrer au service du vrai bien de lhomme. Si la sensibilité personnelle et sociale à laccueil dune nouvelle vie se perd, alors dautres formes daccueil utiles à la vie sociale se dessèchent [67]. Laccueil de la vie trempe les énergies morales et nous rend capables de nous aider mutuellement. En cultivant louverture à la vie, les peuples riches peuvent mieux percevoir les besoins de ceux qui sont pauvres, éviter demployer dimportantes ressources économiques et intellectuelles pour satisfaire les désirs égoïstes de leurs citoyens et promouvoir, en revanche, des actions bénéfiques en vue dune production moralement saine et solidaire, dans le respect du droit fondamental de tout peuple et de toute personne à la vie. 29. Il y a encore un autre aspect de la réalité daujourdhui, lié de façon très étroite au développement: cest la négation du droit à la liberté religieuse. Je ne me réfère pas seulement aux luttes et aux conflits qui, dans le monde, ont des motifs religieux, même si parfois les raisons religieuses ne servent quà couvrir des raisons dun autre genre, en loccurrence la soif de pouvoir et de richesse. Comme mon prédécesseur Jean-Paul II [68] lavait publiquement dit et déploré à plusieurs reprises et ainsi que je lai fait moi-même, de fait, aujourdhui on tue souvent en invoquant le saint nom de Dieu. Les violences freinent le développement authentique et empêchent la marche des peuples vers un plus grand bien-être socio-économique et spirituel. Cela sapplique spécialement au terrorisme de nature fondamentaliste [69], qui engendre douleur, dévastation et mort, bloque le dialogue entre les nations et détourne dimportantes ressources de leur usage pacifique et civil. Il faut néanmoins ajouter que, outre le fanatisme religieux qui, en certains milieux, empêche lexercice du droit à la liberté religieuse, la promotion programmée de lindifférence religieuse ou de lathéisme pratique de la part de nombreux pays soppose elle aussi aux exigences du développement des peuples, en leur soustrayant laccès aux ressources spirituelles et humaines. Dieu est le garant du véritable développement de lhomme, puisque, layant créé à son image, Il en fonde aussi la dignité transcendante et alimente en lui la soif d« être plus ». Lhomme nest pas un atome perdu dans un univers de hasard [70], mais il est une créature de Dieu, à qui Il a voulu donner une âme immortelle et quIl aime depuis toujours. Si lhomme nétait que le fruit du hasard ou de la nécessité, ou bien sil devait réduire ses aspirations à lhorizon restreint des situations dans lesquelles il vit, si tout nétait quhistoire et culture et si lhomme navait pas une nature destinée à être transcendée dans une vie surnaturelle, on pourrait parler de croissance ou dévolution, mais pas de développement. Quand lÉtat promeut, enseigne, ou même impose, des formes dathéisme pratique, il soustrait à ses citoyens la force morale et spirituelle indispensable pour sengager en faveur du développement humain intégral et il les empêche davancer avec un dynamisme renouvelé dans leur engagement pour donner une réponse humaine plus généreuse à lamour de Dieu [71]. Il arrive aussi que les pays économiquement développés ou émergents exportent vers les pays pauvres, dans le contexte de leur rapports culturels, commerciaux et politiques, cette vision réductrice de la personne et de sa destinée. Cest le dommage que le « surdéveloppement » [72] inflige au développement authentique, quand il saccompagne dun « sous-développement moral » [73]. 30. Dans cette perspective, le thème du développement humain intégral revêt une portée encore plus complexe: la corrélation entre ses multiples composantes exige quon sefforce de faire interagir les divers niveaux du savoir humain en vue de la promotion dun vrai développement des peuples. On estime souvent que le développement, ou les mesures socio-économiques qui sy rapportent, demandent seulement à être mis en uvre comme fruit dun agir commun. Toutefois, cet agir commun a besoin dêtre orienté, parce que « toute action sociale engage une doctrine » [74]. Compte tenu de la complexité des problèmes, il est évident que les différentes disciplines scientifiques doivent collaborer dans une interdisciplinarité ordonnée. La charité nexclut pas le savoir, mais le réclame, le promeut et lanime de lintérieur. Le savoir nest jamais seulement luvre de lintelligence. Il peut certainement être réduit à des calculs ou à des expériences, mais sil veut être une sagesse capable de guider lhomme à la lumière des principes premiers et de ses fins dernières, il doit être « relevé » avec le « sel » de la charité. Le faire sans le savoir est aveugle et le savoir sans amour est stérile. En effet, « celui qui est animé dune vraie charité est ingénieux à découvrir les causes de la misère, à trouver les moyens de la combattre, à la vaincre résolument » [75]. Face aux phénomènes auxquels nous sommes confrontés, lamour dans la vérité demande dabord et avant tout à connaître et à comprendre, en reconnaissant et en respectant la compétence spécifique propre à chaque champ du savoir. La charité nest pas une adjonction supplémentaire, comme un appendice au travail une fois achevé des diverses disciplines, mais au contraire elle dialogue avec elles du début à la fin. Les exigences de lamour ne contredisent pas celles de la raison. Le savoir humain est insuffisant et les conclusions des sciences ne pourront pas, à elles seules, indiquer le chemin vers le développement intégral de lhomme. Il est toujours nécessaire daller plus loin: lamour dans la vérité le commande [76]. Aller au-delà, néanmoins, ne signifie jamais faire abstraction des conclusions de la raison ni contredire ses résultats. Il ny a pas lintelligence puis lamour: il y a lamour riche dintelligence et lintelligence pleine damour. 31. Cela signifie que les évaluations morales et la recherche scientifique doivent croître ensemble et que la charité doit les animer en un ensemble interdisciplinaire harmonieux, fait dunité et de distinction. La doctrine sociale de lÉglise, qui a « une importante dimension interdisciplinaire » [77], peut remplir, dans cette perspective, une fonction dune efficacité extraordinaire. Celle-ci permet à la foi, à la théologie, à la métaphysique et aux sciences de trouver leur place en collaborant au service de lhomme. Cest ici surtout que la doctrine sociale de lÉglise concrétise sa dimension sapientielle. Paul VI avait vu clairement que parmi les causes du sous-développement, il y a un manque de sagesse, de réflexion, de pensée capable de réaliser une synthèse directrice [78], pour laquelle « une claire vision de tous les aspects économiques, sociaux, culturels et spirituels » [79] est exigée. Le morcellement excessif du savoir [80], la fermeture des sciences humaines à la métaphysique [81], les difficultés du dialogue entre les sciences et la théologie portent préjudice non seulement au développement du savoir, mais aussi au développement des peuples car, quand cela se vérifie, il devient plus difficile de distinguer le bien intégral de lhomme dans les différentes dimensions qui le caractérisent. L« élargissement de notre conception et de notre usage de la raison » [82] est indispensable pour réussir à peser adéquatement tous les termes de la question du développement et de la solution des problèmes socio-économiques. 32. Les grandes nouveautés, que le domaine du développement des peuples présente aujourdhui, appellent en de nombreux cas des solutions neuves. Celles-ci doivent être recherchées en même temps dans le respect des lois propres à chaque réalité et à la lumière dune vision intégrale de lhomme qui prenne en compte les différents aspects de la personne humaine, considérée avec un regard purifié par la charité. On découvrira alors de singulières convergences et des possibilités concrètes de solution, sans renoncer à aucune composante fondamentale de la vie humaine. La dignité de la personne et les exigences de la justice demandent, aujourdhui surtout, que les choix économiques ne fassent pas augmenter de façon excessive et moralement inacceptable les écarts de richesse [83] et que lon continue à se donner comme objectif prioritaire laccès au travail ou son maintien, pour tous. Tout bien considéré, cest ce que la « raison économique » exige aussi. Laccroissement systémique des inégalités entre les groupes sociaux à lintérieur dun même pays et entre les populations des différents pays, cest-à-dire laugmentation massive de la pauvreté au sens relatif, non seulement tend à saper la cohésion sociale et met ainsi en danger la démocratie, mais a aussi un impact négatif sur le plan économique à travers lérosion progressive du « capital social », cest-à-dire de cet ensemble de relations de confiance, de fiabilité, de respect des règles, indispensables à toute coexistence civile. Cest encore la science économique qui nous montre quune situation structurelle dinsécurité produit des comportements anti-productifs et des gaspillages de ressources humaines, dans la mesure où le travailleur tend à sadapter passivement aux mécanismes automatiques, au lieu de libérer sa créativité. Sur ce point également, il existe une convergence entre science économique et évaluation morale. Les coûts humains sont toujours aussi des coûts économiques et les dysfonctionnements économiques entraînent toujours des coûts humains. Il convient également de rappeler que la réduction des cultures à la dimension technologique, si elle peut favoriser à court terme la réalisation de profits, constitue un obstacle à long terme à lenrichissement réciproque et aux dynamiques de collaboration. Il est important de distinguer entre les considérations économiques ou sociologiques à court et à long terme. Labaissement du niveau de protection des droits des travailleurs et labandon des mécanismes de redistribution des revenus pour donner au pays une plus grande compétitivité internationale gênent la consolidation dun développement à long terme. On doit alors évaluer attentivement les conséquences sur les personnes des tendances actuelles vers une économie du court, voire du très court terme. Cela demande une réflexion nouvelle et approfondie sur le sens de léconomie et de ses fins [84], ainsi quune révision profonde et clairvoyante du modèle de développement pour en corriger les dysfonctionnements et les déséquilibres. Cest ce quexige, en outre, létat de santé écologique de la planète et surtout ce quappelle la crise culturelle et morale de lhomme, dont les symptômes sont depuis longtemps évidents partout dans le monde. 33. Plus de quarante après la parution de Populorum progressio, sa thématique de fond, le progrès, demeure un problème en suspens, rendu plus aigu et urgent en raison de la crise économique et financière actuelle. Si certaines régions du globe, autrefois marquées par la pauvreté, ont connu des changements notables en termes de croissance économique et de participation à la production mondiale, dautres régions sont encore plongées dans une situation de misère comparable à celle qui existait au temps de Paul VI. Dans certains cas, on peut même parler dune réelle aggravation. Il est significatif que plusieurs causes de cette situation aient déjà été identifiées par Populorum progressio, comme par exemple les tarifs douaniers élevés imposés par les pays économiquement développés et qui empêchent encore aujourdhui les produits provenant des pays pauvres dentrer sur leurs marchés. En revanche, dautres causes, que lencyclique avait seulement effleurées, se sont manifestées ensuite plus clairement. Cest le cas pour lévaluation du processus de décolonisation, alors en plein déroulement; Paul VI souhaitait un chemin dautonomie à parcourir dans la liberté et dans la paix. Après plus de quarante ans, nous devons reconnaître combien ce parcours a été difficile, aussi bien à cause de nouvelles formes de colonialisme et de dépendance à légard danciens comme de nouveaux pays dominants, quen raison de graves irresponsabilités internes aux pays devenus indépendants. La nouveauté majeure a été lexplosion de linterdépendance planétaire, désormais communément appelée mondialisation. Paul VI lavait déjà partiellement prévue, mais les termes et la force avec laquelle elle sest développée sont surprenants. Né au sein des pays économiquement développés, ce processus par sa nature a produit une intrication de toutes les économies. Celui-ci a été le principal moteur pour que des régions entières sortent du sous-développement et il représente en soi une grande opportunité. Toutefois, sans lorientation de lamour dans la vérité, cet élan planétaire risque de provoquer des dommages inconnus jusqualors ainsi que de nouvelles fractures au sein de la famille humaine. Cest pourquoi lamour et la vérité nous placent devant une tâche inédite et créatrice, assurément vaste et complexe. Il sagit délargir la raison et de la rendre capable de comprendre et dorienter ces nouvelles dynamiques de grande ampleur, en les animant dans la perspective de cette « civilisation de lamour » dont Dieu a semé le germe dans chaque peuple et dans chaque culture.
FRATERNITÉ, DÉVELOPPEMENT 34. Lamour dans la vérité place lhomme devant létonnante expérience du don. La gratuité est présente dans sa vie sous de multiples formes qui souvent ne sont pas reconnues en raison dune vision de lexistence purement productiviste et utilitariste. Lêtre humain est fait pour le don; cest le don qui exprime et réalise sa dimension de transcendance. Lhomme moderne est parfois convaincu, à tort, dêtre le seul auteur de lui-même, de sa vie et de la société. Cest là une présomption, qui dérive de la fermeture égoïste sur lui-même, qui provient pour parler en termes de foi du péché des origines. La sagesse de lÉglise a toujours proposé de tenir compte du péché originel même dans linterprétation des faits sociaux et dans la construction de la société: « Ignorer que lhomme a une nature blessée, inclinée au mal, donne lieu à de graves erreurs dans le domaine de léducation, de la politique, de laction sociale et des murs » [85]. À la liste des domaines où se manifestent les effets pernicieux du péché, sest ajouté depuis longtemps déjà celui de léconomie. Nous en avons une nouvelle preuve, évidente, en ces temps-ci. La conviction dêtre autosuffisant et dêtre capable déliminer le mal présent dans lhistoire uniquement par sa seule action a poussé lhomme à faire coïncider le bonheur et le salut avec des formes immanentes de bien-être matériel et daction sociale. De plus, la conviction de lexigence dautonomie de léconomie, qui ne doit pas tolérer « dinfluences » de caractère moral, a conduit lhomme à abuser de linstrument économique y compris de façon destructrice. À la longue, ces convictions ont conduit à des systèmes économiques, sociaux et politiques qui ont foulé aux pieds la liberté de la personne et des corps sociaux et qui, précisément pour cette raison, nont pas été en mesure dassurer la justice quils promettaient. Comme je lai affirmé dans mon encyclique Spe salvi, de cette manière on retranche de lhistoire lespérance chrétienne [86], qui est au contraire une puissante ressource sociale au service du développement humain intégral, recherché dans la liberté et dans la justice. Lespérance encourage la raison et lui donne la force dorienter la volonté [87]. Elle est déjà présente dans la foi qui la suscite. La charité dans la vérité sen nourrit et, en même temps, la manifeste. Étant un don de Dieu absolument gratuit, elle fait irruption dans notre vie comme quelque chose qui nest pas dû, qui transcende toute loi de justice. Le don par sa nature surpasse le mérite, sa règle est la surabondance. Il nous précède dans notre âme elle-même comme le signe de la présence de Dieu en nous et de son attente à notre égard. La vérité qui, à légal de la charité, est un don, est plus grande que nous, comme lenseigne saint Augustin [88]. De même, notre vérité propre, celle de notre conscience personnelle, nous est avant tout « donnée ». Dans tout processus cognitif, en effet, la vérité nest pas produite par nous, mais elle est toujours découverte ou, mieux, reçue. Comme lamour, elle « ne naît pas de la pensée ou de la volonté mais, pour ainsi dire, simpose à lêtre humain » [89]. Parce quelle est un don que tous reçoivent, la charité dans la vérité est une force qui constitue la communauté, unifie les hommes de telle manière quil ny ait plus de barrières ni de limites. Nous pouvons par nous-mêmes constituer la communauté des hommes, mais celle-ci ne pourra jamais être, par ses seules forces, une communauté pleinement fraternelle ni excéder ses propres limites, cest-à-dire devenir une communauté vraiment universelle: lunité du genre humain, communion fraternelle dépassant toutes divisions, naît de lappel formulé par la parole du Dieu-Amour. En affrontant cette question décisive, nous devons préciser, dune part, que la logique du don nexclut pas la justice et quelle ne se juxtapose pas à elle dans un second temps et de lextérieur et, dautre part, que si le développement économique, social et politique veut être authentiquement humain, il doit prendre en considération le principe de gratuité comme expression de fraternité. 35. Lorsquil est fondé sur une confiance réciproque et générale, le marché est linstitution économique qui permet aux personnes de se rencontrer, en tant quagents économiques, utilisant le contrat pour régler leurs relations et échangeant des biens et des services fongibles entre eux pour satisfaire leurs besoins et leurs désirs. Le marché est soumis aux principes de la justice dite commutative, qui règle justement les rapports du donner et du recevoir entre sujets égaux. Mais la doctrine sociale de lÉglise na jamais cessé de mettre en évidence limportance de la justice distributive et de la justice sociale pour léconomie de marché elle-même, non seulement parce quelle est insérée dans les maillons dun contexte social et politique plus vaste, mais aussi à cause de la trame des relations dans lesquelles elle se réalise. En effet, abandonné au seul principe de léquivalence de valeur des biens échangés, le marché narrive pas à produire la cohésion sociale dont il a pourtant besoin pour bien fonctionner. Sans formes internes de solidarité et de confiance réciproque, le marché ne peut pleinement remplir sa fonction économique. Aujourdhui, cest cette confiance qui fait défaut, et la perte de confiance est une perte grave. Dans Populorum progressio, Paul VI soulignait de façon opportune le fait que le système économique lui-même aurait tiré avantage des pratiques généralisées de justice, car les premiers à tirer bénéfice du développement des pays pauvres auraient été les pays riches [90]. Il ne sagit pas seulement de corriger des dysfonctionnements par lassistance. Les pauvres ne sont pas à considérer comme un « fardeau » [91], mais au contraire comme une ressource, même du point de vue strictement économique. Il faut considérer comme erronée la conception de certains qui pensent que léconomie de marché a structurellement besoin dun quota de pauvreté et de sous-développement pour pouvoir fonctionner au mieux. Lintérêt du marché est de promouvoir lémancipation, mais pour le faire vraiment il ne peut pas compter seulement sur lui-même, car il nest pas en mesure de produire de lui-même ce qui est au-delà de ses possibilités. Il doit puiser des énergies morales auprès dautres sujets, qui sont capables de les faire naître. 36. Lactivité économique ne peut résoudre tous les problèmes sociaux par la simple extension de la logique marchande. Celle-là doit viser la recherche du bien commun, que la communauté politique dabord doit aussi prendre en charge. Cest pourquoi il faut avoir présent à lesprit que séparer lagir économique, à qui il reviendrait seulement de produire de la richesse, de lagir politique, à qui il reviendrait de rechercher la justice au moyen de la redistribution, est une cause de graves déséquilibres. LÉglise a toujours estimé que lagir économique ne doit pas être considéré comme antisocial. Le marché nest pas de soi, et ne doit donc pas devenir, le lieu de la domination du fort sur le faible. La société ne doit pas se protéger du marché, comme si le développement de ce dernier comportait ipso facto lextinction des relations authentiquement humaines. Il est certainement vrai que le marché peut être orienté de façon négative, non parce que cest là sa nature, mais parce quune certaine idéologie peut lorienter en ce sens. Il ne faut pas oublier que le marché nexiste pas à létat pur. Il tire sa forme des configurations culturelles qui le caractérisent et lorientent. En effet, léconomie et la finance, en tant quinstruments, peuvent être mal utilisées quand celui qui les gère na comme point de référence que des intérêts égoïstes. Ainsi peut-on arriver à transformer des instruments bons en eux mêmes en instruments nuisibles. Mais cest la raison obscurcie de lhomme qui produit ces conséquences, non linstrument lui-même. Cest pourquoi, ce nest pas linstrument qui doit être mis en cause mais lhomme, sa conscience morale et sa responsabilité personnelle et sociale. La doctrine sociale de lÉglise estime que des relations authentiquement humaines, damitié et de socialité, de solidarité et de réciprocité, peuvent également être vécues même au sein de lactivité économique et pas seulement en dehors delle ou « après » elle. La sphère économique nest, par nature, ni éthiquement neutre ni inhumaine et antisociale. Elle appartient à lactivité de lhomme et, justement parce que humaine, elle doit être structurée et organisée institutionnellement de façon éthique. Le grand défi qui se présente à nous, qui ressort des problématiques du développement en cette période de mondialisation et qui est rendu encore plus pressant par la crise économique et financière, est celui de montrer, au niveau de la pensée comme des comportements, que non seulement les principes traditionnels de léthique sociale, tels que la transparence, lhonnêteté et la responsabilité ne peuvent être négligées ou sous-évaluées, mais aussi que dans les relations marchandes le principe de gratuité et la logique du don, comme expression de la fraternité, peuvent et doivent trouver leur place à lintérieur de lactivité économique normale. Cest une exigence de lhomme de ce temps, mais aussi une exigence de la raison économique elle-même. Cest une exigence conjointe de la charité et de la vérité. 37. La doctrine sociale de lÉglise a toujours soutenu que la justice se rapporte à toutes les phases de lactivité économique, parce quelle concerne toujours lhomme et ses exigences. La découverte des ressources, les financements, la production, la consommation et toutes les autres phases du cycle économique ont inéluctablement des implications morales. Ainsi toute décision économique a-t-elle une conséquence de caractère moral. Les sciences sociales et les tendances de léconomie contemporaine le confirment également. Peut-être fut-il un temps pensable de confier en premier lieu à léconomie la tâche de produire des richesses, remettant ensuite à la politique la tâche de les distribuer. Tout ceci se révèle aujourdhui plus difficile, puisque les activités économiques ne sont pas confinées à lintérieur des limites territoriales, alors que lautorité des gouvernements continue à être essentiellement locale. Cest pourquoi les règles de la justice doivent être respectées dès la mise en route du processus économique, et non avant, après ou parallèlement. Il est nécessaire aussi que, sur le marché, soient ouverts des espaces aux activités économiques réalisées par des sujets qui choisissent librement de conformer leur propre agir à des principes différents de ceux du seul profit, sans pour cela renoncer à produire de la valeur économique. Les nombreux types déconomie qui tirent leur origine dinitiatives religieuses et laïques démontrent que cela est concrètement possible. À lépoque de la mondialisation, léconomie pâtit de modèles de compétition liés à des cultures très différentes les unes des autres. Les comportements économiques et industriels qui en découlent trouvent généralement un point de rencontre dans le respect de la justice commutative. La vie économique a sans aucun doute besoin du contrat pour réglementer les relations déchange entre valeurs équivalentes. Mais elle a tout autant besoin de lois justes et de formes de redistribution guidées par la politique, ainsi que duvres qui soient marquées par lesprit du don. Léconomie mondialisée semble privilégier la première logique, celle de léchange contractuel mais, directement ou indirectement, elle montre quelle a aussi besoin des deux autres, de la logique politique et de la logique du don sans contrepartie. 38. Mon prédécesseur Jean-Paul II avait signalé cette problématique quand, dans Centesimus annus, il avait relevé la nécessité dun système impliquant trois sujets: le marché, lÉtat et la société civile [92]. Il avait identifié la société civile comme le cadre le plus approprié pour une économie de la gratuité et de la fraternité, mais il ne voulait pas lexclure des deux autres domaines. Aujourdhui, nous pouvons dire que la vie économique doit être comprise comme une réalité à plusieurs dimensions: en chacune delles, à divers degrés et selon des modalités spécifiques, laspect de la réciprocité fraternelle doit être présent. À lépoque de la mondialisation, lactivité économique ne peut faire abstraction de la gratuité, qui répand et alimente la solidarité et la responsabilité pour la justice et pour le bien commun auprès de ses différents sujets et acteurs. Il sagit, en réalité, dune forme concrète et profonde de démocratie économique. La solidarité signifie avant tout se sentir tous responsables de tous [93], elle ne peut donc être déléguée seulement à lÉtat. Si hier on pouvait penser quil fallait dabord rechercher la justice et que la gratuité devait intervenir ensuite comme un complément, aujourdhui, il faut dire que sans la gratuité on ne parvient même pas à réaliser la justice. Il faut, par conséquent, un marché sur lequel des entreprises qui poursuivent des buts institutionnels différents puissent agir librement, dans des conditions équitables. À côté de lentreprise privée tournée vers le profit, et des divers types dentreprises publiques, il est opportun que les organisations productrices qui poursuivent des buts mutualistes et sociaux puissent simplanter et se développer. Cest de leur confrontation réciproque sur le marché que lon peut espérer une sorte dhybridation des comportements dentreprise et donc une attention vigilante à la civilisation de léconomie. La charité dans la vérité, dans ce cas, signifie quil faut donner forme et organisation aux activités économiques qui, sans nier le profit, entendent aller au-delà de la logique de léchange des équivalents et du profit comme but en soi. 39. Dans Populorum progressio, Paul VI demandait que soit défini un modèle déconomie de marché capable dintégrer, au moins tendanciellement, tous les peuples et non seulement ceux qui étaient en mesure dy prendre part. Il demandait que le marché international soit le reflet dun monde où « tous auront à donner et à recevoir, sans que le progrès des uns soit un obstacle au développement des autres » [94]. De cette manière, il étendait au niveau universel les requêtes et les aspirations déjà contenues dans Rerum novarum, où pour la première fois, à la suite de la révolution industrielle, était affirmée lidée assurément avancée pour lépoque que pour subsister lordre civil avait besoin aussi de lintervention redistributive de lÉtat. Aujourdhui cette vision est non seulement remise en question par les processus douverture des marchés et des sociétés, mais elle apparaît aussi incomplète pour satisfaire les exigences dune économie pleinement humaine. Ce que la doctrine sociale de lÉglise a toujours soutenu, en partant de sa vision de lhomme et de la société, est aujourdhui requis aussi par les dynamiques caractéristiques de la mondialisation. Quand la logique du marché et celle de lÉtat saccordent entre elles pour perpétuer le monopole de leurs domaines respectifs dinfluence, la solidarité dans les relations entre les citoyens samoindrit à la longue, de même que la participation et ladhésion, lagir gratuit, qui sont dune nature différente du donner pour avoir, spécifique à la logique de léchange, et du donner par devoir, qui est propre à laction publique, réglée par les lois de lÉtat. Vaincre le sous-développement demande dagir non seulement en vue de lamélioration des transactions fondées sur léchange et des prestations sociales, mais surtout sur louverture progressive, dans un contexte mondial, à des formes dactivité économique caractérisées par une part de gratuité et de communion. Le binôme exclusif marché-État corrode la socialité, alors que les formes économiques solidaires, qui trouvent leur terrain le meilleur dans la société civile sans se limiter à elle, créent de la socialité. Le marché de la gratuité nexiste pas et on ne peut imposer par la loi des comportements gratuits. Pourtant, aussi bien le marché que la politique ont besoin de personnes ouvertes au don réciproque. 40. Les dynamiques économiques internationales actuelles, caractérisées par de graves déviances et des dysfonctionnements, appellent également de profonds changements dans la façon de concevoir lentreprise. Danciennes formes de la vie des entreprises disparaissent, tandis que dautres, prometteuses, se dessinent à lhorizon. Un des risques les plus grands est sans aucun doute que lentreprise soit presque exclusivement soumise à celui qui investit en elle et que sa valeur sociale finisse ainsi par être amoindrie. En raison de la croissance de leurs dimensions et du besoin de capitaux toujours plus importants, les entreprises ont de moins en moins à leur tête un entrepreneur stable qui soit responsable à long terme de la vie et des résultats de lentreprise et pas seulement à court terme, et elles sont aussi toujours moins liées à un territoire unique. En outre, la fameuse délocalisation de lactivité productive peut atténuer chez lentrepreneur le sens de ses responsabilités vis-à-vis des porteurs dintérêts, tels que les travailleurs, les fournisseurs, les consommateurs, lenvironnement naturel et, plus largement, la société environnante, au profit des actionnaires, qui ne sont pas liés à un lieu spécifique et qui jouissent donc dune extraordinaire mobilité. En effet, le marché international des capitaux offre aujourdhui une grande liberté daction. Il est vrai cependant que lon prend toujours davantage conscience de la nécessité dune plus ample « responsabilité sociale » de lentreprise. Même si les positions éthiques qui guident aujourdhui le débat sur la responsabilité sociale de lentreprise ne sont pas toutes acceptables selon la perspective de la doctrine sociale de lÉglise, cest un fait que se répand toujours plus la conviction selon laquelle la gestion de lentreprise ne peut pas tenir compte des intérêts de ses seuls propriétaires, mais aussi de ceux de toutes les autres catégories de sujets qui contribuent à la vie de lentreprise: les travailleurs, les clients, les fournisseurs des divers éléments de la production, les communautés humaines qui en dépendent. Ces dernières années, on a vu la croissance dune classe cosmopolite de managers qui, souvent, ne répondent quaux indications des actionnaires de référence, constitués en général par des fonds anonymes qui fixent de fait leurs rémunérations. Cela nempêche pas quaujourdhui il y ait de nombreux managers qui, grâce à des analyses clairvoyantes, se rendent compte toujours davantage des liens profonds de leur entreprise avec le territoire ou avec les territoires où elle opère. Paul VI invitait à évaluer sérieusement le préjudice que le transfert de capitaux à létranger exclusivement en vue dun profit personnel, peut causer à la nation elle-même [95]. Jean-Paul II observait quinvestir, outre sa signification économique, revêt toujours une signification morale [96]. Tout ceci il faut le redire est valable aujourdhui encore, bien que le marché des capitaux ait été fortement libéralisé et que les mentalités technologiques modernes puissent conduire à penser quinvestir soit seulement un fait technique et non pas aussi humain et éthique. Il ny a pas de raison de nier quun certain capital, sil est investi à létranger plutôt que dans sa patrie, puisse faire du bien. Cependant les requêtes de la justice doivent être sauvegardées, en tenant compte aussi de la façon dont ce capital a été constitué et des préjudices causés aux personnes par leur non emploi dans les lieux où ce capital a été produit [97]. Il faut éviter que le motif de lemploi des ressources financières soit spéculatif et cède à la tentation de rechercher seulement un profit à court terme, sans rechercher aussi la continuité de lentreprise à long terme, son service précis à léconomie réelle et son attention à la promotion, de façon juste et convenable, dinitiatives économiques y compris dans les pays qui ont besoin de développement. Il ne faut pas nier que lorsque la délocalisation comporte des investissements et offre de la formation, elle peut être bénéfique aux populations des pays daccueil. Le travail et la connaissance technique sont un besoin universel. Cependant il nest pas licite de délocaliser seulement pour jouir de faveurs particulières ou, pire, pour exploiter la société locale sans lui apporter une véritable contribution à la mise en place dun système productif et social solide, facteur incontournable dun développement stable. 41. Dans le contexte de ce document, il est utile dobserver que lentrepreneuriat a et doit toujours plus avoir une signification plurivalente. La prééminence persistante du binôme marché-État nous a habitués à penser exclusivement à lentrepreneur privé de type capitaliste, dune part, et au haut-fonctionnaire de lautre. En réalité, lentrepreneuriat doit être compris de façon diversifiée. Ceci découle dune série de raisons méta-économiques. Avant davoir une signification professionnelle, lentrepreneuriat a une signification humaine [98]. Il est inscrit dans tout travail, vu comme « actus personæ » [99] cest pourquoi il est bon quà tout travailleur soit offerte la possibilité dapporter sa contribution propre de sorte que lui-même « sache travailler à son compte » [100]. Ce nest pas sans raison que Paul VI enseignait que « tout travailleur est un créateur » [101]. Cest justement pour répondre aux exigences et à la dignité de celui qui travaille, ainsi quaux besoins de la société, que divers types dentreprises existent, bien au-delà de la seule distinction entre « privé » et « public ». Chacune requiert et exprime une capacité dentreprise singulière. Dans le but de créer une économie qui, dans un proche avenir, sache se mettre au service du bien commun national et mondial, il est opportun de tenir compte de cette signification élargie de lentrepreneuriat. Cette conception plus large favorise léchange et la formation réciproque entre les diverses typologies dentrepreneuriat, avec un transfert de compétences du monde du non profit à celui du profit et vice-versa, du domaine public à celui de la société civile, de celui des économies avancées à celui des pays en voie de développement. Lautorité politique a, elle aussi, une signification plurivalente qui ne peut être négligée, dans la mise en place dun nouvel ordre économico-productif, socialement responsable et à dimension humaine. De même quon entend cultiver un entrepreneuriat différencié sur le plan mondial, ainsi doit-on promouvoir une autorité politique répartie et active sur plusieurs plans. Léconomie intégrée de notre époque nélimine pas le rôle des États, elle engage plutôt les gouvernements à une plus forte collaboration réciproque. La sagesse et la prudence nous suggèrent de ne pas proclamer trop hâtivement la fin de lÉtat. Lié à la solution de la crise actuelle, son rôle semble destiné à croître, tandis quil récupère nombre de ses compétences. Il y a aussi des nations pour lesquelles la construction ou la reconstruction de lÉtat continue dêtre un élément clé de leur développement. Laide internationale à lintérieur dun projet de solidarité ciblé en vue de la solution des problèmes économiques actuels, devrait en premier lieu soutenir la consolidation de systèmes constitutionnels, juridiques, administratifs dans les pays qui ne jouissent pas encore pleinement de ces biens. À côté des aides économiques, il doit y avoir celles qui ont pour but de renforcer les garanties propres de lÉtat de droit, un système dordre public et de détention efficace dans le respect des droits humains, des institutions vraiment démocratiques. Il nest pas nécessaire que lÉtat ait partout les mêmes caractéristiques: le soutien aux systèmes constitutionnels faibles en vue de leur renforcement peut très bien saccompagner du développement dautres sujets politiques, de nature culturelle, sociale, territoriale ou religieuse, à côté de lÉtat. Larticulation de lautorité politique au niveau local, national et international est, entre autres, une des voies maîtresses pour parvenir à orienter la mondialisation économique. Cest aussi le moyen pour éviter quelle ne mine dans les faits les fondements de la démocratie. 42. On relève parfois des attitudes fatalistes à légard de la mondialisation, comme si les dynamiques en acte étaient produites par des forces impersonnelles anonymes et par des structures indépendantes de la volonté humaine [102]. Il est bon de rappeler à ce propos que la mondialisation doit être certainement comprise comme un processus socio-économique, mais ce nest pas là son unique dimension. Derrière le processus le plus visible se trouve la réalité dune humanité qui devient de plus en plus interconnectée. Celle-ci est constituée de personnes et de peuples auxquels ce processus doit être utile et dont il doit servir le développement [103] en vertu des responsabilités respectives prises aussi bien par des individus que par la collectivité. Le dépassement des frontières nest pas seulement un fait matériel, mais il est aussi culturel dans ses causes et dans ses effets. Si on regarde la mondialisation de façon déterministe, les critères pour lévaluer et lorienter se perdent. Cest une réalité humaine et elle peut avoir en amont diverses orientations culturelles sur lesquelles il faut exercer un discernement. La vérité de la mondialisation comme processus et sa nature éthique fondamentale dérivent de lunité de la famille humaine et de son développement dans le bien. Il faut donc travailler sans cesse afin de favoriser une orientation culturelle personnaliste et communautaire, ouverte à la transcendance, du processus dintégration planétaire. Malgré certaines de ses dimensions structurelles qui ne doivent pas être niées, ni absolutisées, « la mondialisation, a priori, nest ni bonne ni mauvaise. Elle sera ce que les personnes en feront » [104]. Nous ne devons pas en être les victimes, mais les protagonistes, avançant avec bon sens, guidés par la charité et par la vérité. Sy opposer aveuglément serait une attitude erronée, préconçue, qui finirait par ignorer un processus porteur daspects positifs, avec le risque de perdre une grande occasion de saisir les multiples opportunités de développement quelle offre. Les processus de mondialisation, convenablement conçus et gérés, offrent la possibilité dune grande redistribution de la richesse au niveau planétaire comme cela ne sétait jamais présenté auparavant; sils sont mal gérés ils peuvent au contraire faire croître la pauvreté et les inégalités, et contaminer le monde entier par une crise. Il faut en corriger les dysfonctionnements, dont certains sont graves, qui introduisent de nouvelles divisions entre les peuples et au sein des peuples, et faire en sorte que la redistribution de la richesse nentraîne pas une redistribution de la pauvreté ou même son accentuation, comme une mauvaise gestion de la situation actuelle pourrait nous le faire craindre. Pendant longtemps, on a pensé que les peuples pauvres devaient demeurer fixés à un stade préétabli de développement et devaient se contenter de la philanthropie des peuples développés. Dans Populorum progressio, Paul VI a pris position contre cette mentalité. Aujourdhui les ressources matérielles utilisables pour faire sortir ces peuples de la misère sont théoriquement plus importantes quautrefois, mais ce sont les peuples des pays développés eux-mêmes qui ont fini par en profiter, eux qui ont pu mieux exploiter le processus de libéralisation des mouvements de capitaux et du travail. La diffusion du bien-être à léchelle mondiale ne doit donc pas être freinée par des projets égoïstes, protectionnistes ou dictés par des intérêts particuliers. En effet, limplication des pays émergents ou en voie de développement permet aujourdhui de mieux gérer la crise. La transition inhérente au processus de mondialisation présente des difficultés et des dangers importants, qui pourront être surmontés seulement si on sait prendre conscience de cette dimension anthropologique et éthique, qui pousse profondément la mondialisation elle-même vers des objectifs dhumanisation solidaire. Malheureusement cette dimension est souvent dominée et étouffée par des perspectives éthiques et culturelles de nature individualiste et utilitariste. La mondialisation est un phénomène multidimensionnel et polyvalent, qui exige dêtre saisi dans la diversité et dans lunité de tous ses aspects, y compris sa dimension théologique. Cela permettra de vivre et dorienter la mondialisation de lhumanité en termes de relationnalité, de communion et de partage.
DÉVELOPPEMENT DES PEUPLES, 43. « La solidarité universelle qui est un fait, et un bénéfice pour nous, est aussi un devoir » [105]. Aujourdhui, nombreux sont ceux qui sont tentés de prétendre ne rien devoir à personne, si ce nest à eux-mêmes. Ils estiment nêtre détenteurs que de droits et ils éprouvent souvent de grandes difficultés à grandir dans la responsabilité à légard de leur développement personnel intégral et de celui des autres. Cest pourquoi il est important de susciter une nouvelle réflexion sur le fait que les droits supposent des devoirs sans lesquels ils deviennent arbitraires [106]. Aujourdhui, nous sommes témoins dune grave contradiction. Tandis que, dun côté, sont revendiqués de soi-disant droits, de nature arbitraire et voluptuaire, avec la prétention de les voir reconnus et promus par les structures publiques, dun autre côté, des droits élémentaires et fondamentaux dune grande partie de lhumanité sont ignorés et violés [107]. On a souvent noté une relation entre la revendication du droit au superflu ou même à la transgression et au vice, dans les sociétés opulentes, et le manque de nourriture, deau potable, dinstruction primaire ou de soins sanitaires élémentaires dans certaines régions sous-développées ainsi que dans les périphéries des grandes métropoles. Cette relation est due au fait que les droits individuels, détachés du cadre des devoirs qui leur confère un sens plénier, saffolent et alimentent une spirale de requêtes pratiquement illimitée et privée de repères. Lexaspération des droits aboutit à loubli des devoirs. Les devoirs délimitent les droits parce quils renvoient au cadre anthropologique et éthique dans la vérité duquel ces derniers sinsèrent et ainsi ne deviennent pas arbitraires. Cest pour cette raison que les devoirs renforcent les droits et situent leur défense et leur promotion comme un engagement à prendre en faveur du bien. Si, par contre, les droits de lhomme ne trouvent leur propre fondement que dans les délibérations dune assemblée de citoyens, ils peuvent être modifiés à tout moment et, par conséquent, le devoir de les respecter et de les promouvoir diminue dans la conscience commune. Les Gouvernements et les Organismes internationaux peuvent alors oublier lobjectivité et l« indisponibilité » des droits. Quand cela se produit, le véritable développement des peuples est mis en danger [108]. De tels comportements compromettent lautorité des Organismes internationaux, surtout aux yeux des pays qui ont le plus besoin de développement. Ceux-ci demandent, en effet, que la communauté internationale considère comme un devoir de les aider à être « les artisans de leur destin » [109], cest-à-dire à assumer eux-mêmes à leur tour des devoirs. Avoir en commun des devoirs réciproques mobilise beaucoup plus que la seule revendication de droits. 44. La conception des droits et des devoirs dans le développement est mise à lépreuve de manière dramatique par les problématiques liées à la croissance démographique. Il sagit dune limite très importante pour le vrai développement, parce quelle concerne les valeurs primordiales de la vie et de la famille [110]. Considérer laugmentation de la population comme la cause première du sous-développement est incorrect, même du point de vue économique: il suffit de penser dune part à limportante diminution de la mortalité infantile et à lallongement moyen de la vie quon enregistre dans les pays économiquement développés, et dautre part, aux signes de crises quon relève dans les sociétés où lon enregistre une baisse préoccupante de la natalité. Il demeure évidemment nécessaire de prêter lattention due à une procréation responsable qui constitue, entre autres, une contribution efficace au développement humain intégral. LÉglise, qui a à cur le véritable développement de lhomme, lui recommande de respecter dans tout son agir la réalité humaine authentique. Cette dimension doit être reconnue, en particulier, en ce qui concerne la sexualité: on ne peut la réduire à un pur fait hédoniste et ludique, de même que léducation sexuelle ne peut être réduite à une instruction technique, dans lunique but de défendre les intéressés déventuelles contaminations ou du « risque » de procréation. Cela équivaudrait à appauvrir et à ignorer le sens profond de la sexualité, qui doit au contraire être reconnue et assumée avec responsabilité, tant par lindividu que par la communauté. En effet, la responsabilité interdit aussi bien de considérer la sexualité comme une simple source de plaisir, que de la réguler par des politiques de planification forcée des naissances. Dans ces deux cas, on est en présence de conceptions et de politiques matérialistes, où les personnes finissent par subir différentes formes de violence. À tout cela, on doit opposer, en ce domaine, la compétence primordiale des familles [111] par rapport à celle lÉtat et à ses politiques contraignantes, ainsi quune éducation appropriée des parents. Louverture moralement responsable à la vie est une richesse sociale et économique. De grandes nations ont pu sortir de la misère grâce au grand nombre de leurs habitants et à leurs potentialités. En revanches, des nations, un temps prospères, connaissent à présent une phase dincertitude et, dans certains cas, de déclin à cause de la dénatalité qui est un problème crucial pour les sociétés de bien-être avancé. La diminution des naissances, parfois au-dessous du fameux « seuil de renouvellement », met aussi en difficulté les systèmes dassistance sociale, elle en augmente les coûts, réduit le volume de lépargne et, donc, les ressources financières nécessaires aux investissements, elle réduit la disponibilité dune main-duvre qualifiée, elle restreint la réserve des « cerveaux » utiles pour les besoins de la nation. De plus, dans les familles de petite, et même de toute petite dimension, les relations sociales courent le risque dêtre appauvries, et les formes de solidarité traditionnelle de ne plus être garanties. Ce sont des situations symptomatiques dune faible confiance en lavenir ainsi que dune lassitude morale. Continuer à proposer aux nouvelles générations la beauté de la famille et du mariage, la correspondance de ces institutions aux exigences les plus profondes du cur et de la dignité de la personne devient ainsi une nécessité sociale, et même économique. Dans cette perspective, les États sont appelés à mettre en uvre des politiques qui promeuvent le caractère central et lintégrité de la famille, fondée sur le mariage entre un homme et une femme, cellule première et vitale de la société [112]. prenant en compte ses problèmes économiques et fiscaux, dans le respect de sa nature relationnelle. 45. Répondre aux exigences morales les plus profondes de la personne a aussi des retombées importantes et bénéfiques sur le plan économique. En effet, pour fonctionner correctement, léconomie a besoin de léthique; non pas dune éthique quelconque, mais dune éthique amie de la personne. Aujourdhui, on parle beaucoup déthique dans le domaine économique, financier ou industriel. Des Centres détudes et des parcours de formation de business ethics sont créés. Dans le monde développé, le système des certifications éthiques se répand à la suite du mouvement didées né autour de la responsabilité sociale de lentreprise. Les banques proposent des comptes et des fonds dinvestissement appelés « éthiques ». Une « finance éthique » se développe surtout à travers le microcrédit et, plus généralement, la microfinance. Ces processus sont appréciables et méritent un large soutien. Leurs effets positifs se font sentir même dans les régions les moins développées de la terre. Toutefois, il est bon délaborer aussi un critère valable de discernement, car on note un certain abus de ladjectif « éthique » qui, employé de manière générique, se prête à désigner des contenus très divers, au point de faire passer sous son couvert des décisions et des choix contraires à la justice et au véritable bien de lhomme. En fait, cela dépend en grande partie du système moral auquel on se réfère. Sur ce
thème, la doctrine sociale de lÉglise a une contribution spécifique à apporter,
qui se fonde sur la création de lhomme « à limage de Dieu » (Gn 1,
27), principe doù découle la dignité inviolable de la personne humaine, de même
que la valeur transcendante des normes morales naturelles. Une éthique économique qui
méconnaîtrait ces deux piliers, risquerait inévitablement de perdre sa signification
propre et de se prêter à des manipulations. Plus précisément, elle risquerait de sadapter
aux systèmes économiques et financiers existant, au lieu de corriger leurs
dysfonctionnements. Elle finirait également, entre autres, par justifier le financement
de projets non éthiques. En outre, il ne faut pas utiliser le mot « éthique » de
façon idéologiquement discriminatoire, laissant entendre que les initiatives qui ne
seraient pas formellement parées de cette qualification, ne seraient pas éthiques. Il
faut uvrer et cette observation est ici essentielle! 46. Considérant les thématiques relatives au rapport entre entreprise et éthique, ainsi que lévolution que le système de production connaît actuellement, il semble que la distinction faite jusquici entre entreprises à but lucratif (profit) et organisations à but non lucratif (non profit) ne soit plus en mesure de rendre pleinement compte de la réalité, ni dorienter efficacement lavenir. Au cours de ces dernières décennies, une ample sphère intermédiaire entre ces deux types dentreprises a surgi. Elle est constituée dentreprises traditionnelles, qui cependant souscrivent des pactes daide aux pays sous-développés , de fondations qui sont lexpression dentreprises individuelles, de groupes dentreprises ayant des buts dutilité sociale, du monde varié des acteurs de léconomie dite « civile et de communion ». Il ne sagit pas seulement dun « troisième secteur », mais dune nouvelle réalité vaste et complexe, qui touche le privé et le public et qui nexclut pas le profit mais le considère comme un instrument pour réaliser des objectifs humains et sociaux. Le fait que ces entreprises distribuent ou non leurs bénéfices ou bien quelles prennent lune ou lautre des formes prévues par les normes juridiques devient secondaire par rapport à leur orientation à concevoir le profit comme un moyen pour parvenir à des objectifs dhumanisation du marché et de la société. Il est souhaitable que ces nouveaux types dentreprise trouvent également dans tous les pays un cadre juridique et fiscal convenable. Sans rien ôter à limportance et à lutilité économique et sociale des formes traditionnelles dentreprise, elles font évoluer le système vers une plus claire et complète acceptation de leurs devoirs, de la part des agents économiques. Bien plus, la pluralité même des formes institutionnelles de lentreprise crée un marché plus civique et en même temps plus compétitif. 47. Le renforcement des diverses typologies dentreprises et, en particulier, de celles capables de concevoir le profit comme un instrument pour parvenir à des objectifs dhumanisation du marché et des sociétés, doit être poursuivi aussi dans les pays qui sont exclus ou mis en marge des circuits de léconomie mondiale, et où il est très important davancer par le biais de projets, fondés sur une subsidiarité conçue et administrée de façon adaptée, qui tendent à affermir les droits tout en prévoyant toujours une prise de responsabilités correspondantes. Dans les interventions en faveur du développement, le principe de la centralité de la personne humaine doit être préservé car elle est le sujet qui, le premier, doit prendre en charge la tâche du développement. Lurgence principale est lamélioration des conditions de vie des personnes concrètes dune région donnée, afin quelles puissent accomplir ces tâches quactuellement leur indigence ne leur permet pas de remplir. La sollicitude ne peut jamais être une attitude abstraite. Les programmes de développement, pour pouvoir être adaptés aux situations particulières, doivent être caractérisés par la flexibilité. Et les personnes qui en bénéficient devraient être directement associées à leur préparation et devenir protagonistes de leur réalisation. Il est aussi nécessaire dappliquer les critères de la progression et de laccompagnement y compris pour le contrôle des résultats , car il nexiste pas de recettes universellement valables. Cela dépend largement de la gestion concrète des interventions. « Ouvriers de leur propre développement, les peuples en sont les premiers responsables. Mais ils ne le réaliseront pas dans lisolement » [114]. Aujourdhui, avec la consolidation du processus dintégration progressive de la planète, cette exhortation de Paul VI est encore plus actuelle. Les dynamiques dinclusion nont rien de mécanique. Les solutions doivent être adaptées à la vie des peuples et des personnes concrètes, sur la base dune évaluation prévoyante de chaque situation. À côté des macroprojets, les microprojets sont nécessaires et, plus encore, la mobilisation effective de tous les acteurs de la société civile, des personnes juridiques comme des personnes physiques. La coopération internationale a besoin de personnes qui aient en commun le souci du processus de développement économique et humain, par la solidarité de la présence, de laccompagnement, de la formation et du respect. De ce point de vue, les Organismes internationaux eux-mêmes devraient sinterroger sur lefficacité réelle de leurs structures bureaucratiques et administratives, souvent trop coûteuses. Il arrive parfois que celui à qui sont destinées des aides devienne utile à celui qui laide et que les pauvres servent de prétexte pour faire subsister des organisations bureaucratiques coûteuses qui réservent à leur propre subsistance des pourcentages trop élevés des ressources qui devraient au contraire être destinées au développement. Dans cette perspective, il serait souhaitable que tous les organismes internationaux et les Organisations non gouvernementales sengagent à uvrer dans la pleine transparence, informant leurs donateurs et lopinion publique du pourcentage des fonds reçus destiné aux programmes de coopération, du véritable contenu de ces programmes, et enfin de la répartition des dépenses de linstitution elle-même. 48. Le thème du développement est aussi aujourdhui fortement lié aux devoirs quengendre le rapport de lhomme avec lenvironnement naturel. Celui-ci a été donné à tous par Dieu et son usage représente pour nous une responsabilité à légard des pauvres, des générations à venir et de lhumanité tout entière. Si la nature, et en premier lieu lêtre humain, sont considérés comme le fruit du hasard ou du déterminisme de lévolution, la conscience de la responsabilité satténue dans les esprits. Dans la nature, le croyant reconnaît le merveilleux résultat de lintervention créatrice de Dieu, dont lhomme peut user pour satisfaire ses besoins légitimes matériels et immatériels dans le respect des équilibres propres à la réalité créée. Si cette vision se perd, lhomme finit soit par considérer la nature comme une réalité intouchable, soit, au contraire, par en abuser. Ces deux attitudes ne sont pas conformes à la vision chrétienne de la nature, fruit de la création de Dieu. La nature est lexpression dun dessein damour et de vérité. Elle nous précède et Dieu nous la donnée comme milieu de vie. Elle nous parle du Créateur (cf. Rm 1, 20) et de son amour pour lhumanité. Elle est destinée à être « récapitulée » dans le Christ à la fin des temps (cf. Ep 1, 9-10; Col 1, 19-20). Elle a donc elle aussi une « vocation » [115]. La nature est à notre disposition non pas comme « un tas de choses répandues au hasard » [116], mais au contraire comme un don du Créateur qui en a indiqué les lois intrinsèques afin que lhomme en tire les orientations nécessaires pour « la garder et la cultiver » (Gn 2, 15). Toutefois, il faut souligner que considérer la nature comme plus importante que la personne humaine elle-même est contraire au véritable développement. Cette position conduit à des attitudes néo-païennes ou liées à un nouveau panthéisme: le salut de lhomme ne peut pas dériver de la nature seule, comprise au sens purement naturaliste. Par ailleurs, la position inverse, qui vise à sa technicisation complète, est également à rejeter car le milieu naturel nest pas seulement un matériau dont nous pouvons disposer à notre guise, mais cest luvre admirable du Créateur, portant en soi une « grammaire » qui indique une finalité et des critères pour quil soit utilisé avec sagesse et non pas exploité de manière arbitraire. Aujourdhui, de nombreux obstacles au développement proviennent précisément de ces conceptions erronées. Réduire complètement la nature à un ensemble de données de fait finit par être source de violence dans les rapports avec lenvironnement et finalement par motiver des actions irrespectueuses envers la nature même de lhomme. Étant constituée non seulement de matière mais aussi desprit et, en tant que telle, étant riche de significations et de buts transcendants à atteindre, celle-ci revêt un caractère normatif pour la culture. Lhomme interprète et façonne le milieu naturel par la culture qui, à son tour, est orientée par la liberté responsable, soucieuse des principes de la loi morale. Les projets en vue dun développement humain intégral ne peuvent donc ignorer les générations à venir, mais ils doivent se fonder sur la solidarité et sur la justice intergénérationnelles, en tenant compte de multiples aspects: écologique, juridique, économique, politique, culturel [117]. 49. Aujourdhui, les questions liées à la protection et à la sauvegarde de lenvironnement doivent prendre en juste considération les problématiques énergétiques. Laccaparement des ressources énergétiques non renouvelables par certains États, groupes de pouvoir ou entreprises, constitue, en effet, un grave obstacle au développement des pays pauvres. Ceux-ci nont pas les ressources économiques nécessaires pour accéder aux sources énergétiques non renouvelables existantes ni pour financer la recherche de nouvelles sources substitutives. Laccaparement des ressources naturelles qui, dans de nombreux cas, se trouvent précisément dans les pays pauvres, engendre lexploitation et de fréquents conflits entre nations ou à lintérieur de celles-ci. Ces conflits se déroulent souvent sur le territoire même de ces pays, entraînant de lourdes conséquences: morts, destructions et autres dommages. La communauté internationale a le devoir impératif de trouver les voies institutionnelles pour réglementer lexploitation des ressources non renouvelables, en accord avec les pays pauvres, afin de planifier ensemble lavenir. Sur ce front aussi, apparaît lurgente nécessité morale dune solidarité renouvelée, spécialement dans les relations entre les pays en voie de développement et les pays hautement industrialisés [118]. Les sociétés technologiquement avancées peuvent et doivent diminuer leur propre consommation énergétique parce que dune part, leurs activités manufacturières évoluent et parce que dautre part, leurs citoyens sont plus sensibles au problème écologique. Ajoutons à cela quil est possible daméliorer aujourdhui la productivité énergétique et quil est possible, en même temps, de faire progresser la recherche dénergies substitutives. Toutefois, une redistribution planétaire des ressources énergétiques est également nécessaire afin que les pays qui nen ont pas puissent y accéder. Leur destin ne peut être abandonné aux mains du premier venu ou à la logique du plus fort. Ce sont des problèmes importants qui, pour être affrontés de façon efficace, demandent de la part de tous une prise de conscience responsable des conséquences qui retomberont sur les nouvelles générations, surtout sur les très nombreux jeunes présents au sein des peuples pauvres et qui « demandent leur part active dans la construction dun monde meilleur » [119]. 50. Cette responsabilité est globale, parce quelle ne concerne pas seulement lénergie, mais toute la création, que nous ne devons pas transmettre aux nouvelles générations appauvrie de ses ressources. Il est juste que lhomme puisse exercer une maîtrise responsable sur la nature pour la protéger, la mettre en valeur et la cultiver selon des formes nouvelles et avec des technologies avancées, afin que la terre puisse accueillir dignement et nourrir la population qui lhabite. Il y a de la place pour tous sur la terre: la famille humaine tout entière doit y trouver les ressources nécessaires pour vivre correctement grâce à la nature elle-même, don de Dieu à ses enfants, et par leffort de son travail et de sa créativité. Nous devons cependant avoir conscience du grave devoir que nous avons de laisser la terre aux nouvelles générations dans un état tel quelles puissent elles aussi lhabiter décemment et continuer à la cultiver. Cela implique de sengager à prendre ensemble des décisions, « après avoir examiné de façon responsable la route à suivre, en vue de renforcer lalliance entre lêtre humain et lenvironnement, qui doit être le reflet de lamour créateur de Dieu, de qui nous venons et vers qui nous allons » [120]. Il est souhaitable que la communauté internationale et chaque gouvernement sachent contrecarrer efficacement les modalités dexploitation de lenvironnement qui savèrent néfastes. Il est par ailleurs impératif que les autorités compétentes entreprennent tous les efforts nécessaires afin que les coûts économiques et sociaux dérivant de lusage des ressources naturelles communes soient établis de façon transparente et soient entièrement supportés par ceux qui en jouissent et non par les autres populations ou par les générations futures: la protection de lenvironnement, des ressources et du climat demande que tous les responsables internationaux agissent ensemble et démontrent leur résolution à travailler honnêtement, dans le respect de la loi et de la solidarité à légard des régions les plus faibles de la planète [121]. Lune des plus importantes tâches de léconomie est précisément lutilisation la plus efficace des ressources, et non leur abus, sans jamais oublier que la notion defficacité nest pas axiologiquement neutre. 51. La façon dont lhomme traite lenvironnement influence les modalités avec lesquelles il se traite lui-même et réciproquement. Cest pourquoi la société actuelle doit réellement reconsidérer son style de vie qui, en de nombreuses régions du monde, est porté à lhédonisme et au consumérisme, demeurant indifférente aux dommages qui en découlent [122]. Un véritable changement de mentalité est nécessaire qui nous amène à adopter de nouveaux styles de vie « dans lesquels les éléments qui déterminent les choix de consommation, dépargne et dinvestissement soient la recherche du vrai, du beau et du bon, ainsi que la communion avec les autres hommes pour une croissance commune » [123]. Toute atteinte à la solidarité et à lamitié civique provoque des dommages à lenvironnement, de même que la détérioration de lenvironnement, à son tour, provoque linsatisfaction dans les relations sociales. À notre époque en particulier, la nature est tellement intégrée dans les dynamiques sociales et culturelles quelle ne constitue presque plus une donnée indépendante. La désertification et la baisse de la productivité de certaines régions agricoles sont aussi le fruit de lappauvrissement et du retard des populations qui y habitent. En stimulant le développement économique et culturel de ces populations, on protège aussi la nature. En outre, combien de ressources naturelles sont dévastées par les guerres! La paix des peuples et entre les peuples permettrait aussi une meilleure sauvegarde de la nature. Laccaparement des ressources, spécialement de leau, peut provoquer de graves conflits parmi les populations concernées. Un accord pacifique sur lutilisation des ressources peut préserver la nature et, en même temps, le bien-être des sociétés intéressées. LÉglise a une responsabilité envers la création et doit la faire valoir publiquement aussi. Ce faisant, elle doit préserver non seulement la terre, leau et lair comme dons de la création appartenant à tous, elle doit surtout protéger lhomme de sa propre destruction. Une sorte décologie de lhomme, comprise de manière juste, est nécessaire. La dégradation de lenvironnement est en effet étroitement liée à la culture qui façonne la communauté humaine: quand l« écologie humaine » [124] est respectée dans la société, lécologie proprement dite en tire aussi avantage. De même que les vertus humaines sont connexes, si bien que laffaiblissement de lune met en danger les autres, ainsi le système écologique sappuie sur le respect dun projet qui concerne aussi bien la saine coexistence dans la société que le bon rapport avec la nature. Pour préserver la nature, il nest pas suffisant dintervenir au moyen dincitations ou de mesures économiques dissuasives, une éducation appropriée ny suffit pas non plus. Ce sont là des outils importants, mais le point déterminant est la tenue morale de la société dans son ensemble. Si le droit à la vie et à la mort naturelle nest pas respecté, si la conception, la gestation et la naissance de lhomme sont rendues artificielles, si des embryons humains sont sacrifiés pour la recherche, la conscience commune finit par perdre le concept décologie humaine et, avec lui, celui décologie environnementale. Exiger des nouvelles générations le respect du milieu naturel devient une contradiction, quand léducation et les lois ne les aident pas à se respecter elles-mêmes. Le livre de la nature est unique et indivisible, quil sagisse de lenvironnement comme de la vie, de la sexualité, du mariage, de la famille, des relations sociales, en un mot du développement humain intégral. Les devoirs que nous avons vis-à-vis de lenvironnement sont liés aux devoirs que nous avons envers la personne considérée en elle-même et dans sa relation avec les autres. On ne peut exiger les uns et piétiner les autres. Cest là une grave antinomie de la mentalité et de la praxis actuelle qui avilit la personne, bouleverse lenvironnement et détériore la société. 52. La vérité et lamour que celle-ci fait entrevoir ne peuvent être fabriqués. Ils peuvent seulement être accueillis. Leur source ultime nest pas, ni ne peut être, lhomme, mais Dieu, cest-à-dire Celui qui est Vérité et Amour. Ce principe est très important pour la société et pour le développement, car ni lune ni lautre ne peuvent être produits seulement par lhomme. La vocation elle-même des personnes et des peuples au développement ne se fonde pas sur une simple décision humaine, mais elle est inscrite dans un dessein qui nous précède et qui constitue pour chacun de nous un devoir à accueillir librement. Ce qui nous précède et qui nous constitue lAmour et la Vérité subsistants nous indique ce quest le bien et en quoi consiste notre bonheur. Il nous montre donc la route qui conduit au véritable développement.
LA COLLABORATION 53. Une des pauvretés les plus profondes que lhomme puisse expérimenter est la solitude. Tout bien considéré, les autres formes de pauvreté, y compris les pauvretés matérielles, naissent de lisolement, du fait de ne pas être aimé ou de la difficulté daimer. Les pauvretés sont souvent la conséquence du refus de lamour de Dieu, dune fermeture originelle tragique de lhomme en lui-même, qui pense se suffire à lui-même, ou bien considère qu'il n'est quun simple fait insignifiant et éphémère, un « étranger » dans un univers qui sest constitué par hasard. Lhomme est aliéné quand il est seul ou quand il se détache de la réalité, quand il renonce à penser et à croire en un Fondement [125]. Lhumanité tout entière est aliénée quand elle met sa confiance en des projets purement humains, en des idéologies et en de fausses utopies [126]. De nos jours, lhumanité apparaît beaucoup plus interactive quautrefois: cette plus grande proximité doit se transformer en une communion véritable. Le développement des peuples dépend surtout de la reconnaissance du fait que nous formons une seule famille qui collabore dans une communion véritable et qui est constituée de sujets qui ne vivent pas simplement les uns à côté des autres [127]. Paul VI remarquait que « le monde est en malaise faute de pensée » [128]. Cette affirmation renferme une constatation, mais surtout un souhait: il faut quil y ait un renouveau de la pensée pour mieux comprendre ce quimplique le fait que nous formons une famille; les échanges entre les peuples de la planète exigent un tel renouveau, afin que lintégration puisse se réaliser sous le signe de la solidarité [129] plutôt que de la marginalisation. Une telle pensée nous oblige à approfondir de manière critique et sur le plan des valeurs la catégorie de la relation. Un tel effort ne peut être mené par les seules sciences sociales, car il requiert lapport de savoirs tels que la métaphysique et la théologie, pour comprendre de façon éclairée la dignité transcendante de lhomme. La créature humaine, qui est de nature spirituelle, se réalise dans les relations interpersonnelles. Plus elle les vit de manière authentique, plus son identité personnelle mûrit également. Ce nest pas en sisolant que lhomme se valorise lui-même, mais en se mettant en relation avec les autres et avec Dieu. Limportance de ces relations devient alors fondamentale. Cela vaut aussi pour les peuples. Pour leur développement, une vision métaphysique de la relation entre les personnes est donc très utile. A cet égard, la raison trouve une inspiration et une orientation dans la révélation chrétienne, selon laquelle la communauté des hommes nabsorbe pas en soi la personne, anéantissant son autonomie, comme cela se produit dans les diverses formes de totalitarisme, mais elle la valorise encore davantage car le rapport entre individu et communauté est celui dun tout vers un autre tout [130]. Tout comme la communauté familiale nabolit pas en elle les personnes qui la composent et comme lÉglise elle-même valorise pleinement la créature nouvelle (cf. Ga 6, 15; 2 Co 5, 17) qui, par le baptême, sinsère dans son Corps vivant, de la même manière lunité de la famille humaine nabolit pas en elle les personnes, les peuples et les cultures, mais elle les rend plus transparents les uns aux autres, plus unis dans leurs légitimes diversités. 54. Le thème du développement coïncide avec celui de linclusion relationnelle de toutes les personnes et de tous les peuples dans lunique communauté de la famille humaine qui se construit dans la solidarité sur la base des valeurs fondamentales de la justice et de la paix. Cette perspective est éclairée de manière décisive par la relation entre les trois Personnes de la Sainte Trinité dans leur unique Substance divine. La Trinité est unité absolue, car les trois Personnes divines sont relationnalité pure. La transparence réciproque entre les Personnes divines est complète et le lien entre lune et lautre est total, parce quelles constituent une unité et unicité absolue. Dieu veut nous associer nous aussi à cette réalité de communion: « pour quils soient un comme nous sommes un » (Jn 17, 22). LÉglise est signe et instrument de cette unité [131]. Les relations entre les hommes tout au long de lhistoire ne peuvent que tirer avantage de cette référence au divin Modèle. À la lumière de la révélation du mystère de la Trinité, on comprend en particulier que louverture authentique nimplique pas une dispersion centrifuge, mais une compénétration profonde. Cest ce qui apparaît aussi à travers les expériences humaines communes de lamour et de la vérité. De même que lamour sacramentel entre les époux les unit spirituellement en « une seule chair » (Gn 2, 24; Mt 19, 5; Ep 5, 31) et de deux quils étaient en fait une unité relationnelle réelle, de manière analogue, la vérité unit les esprits entre eux et les fait penser à lunisson, en les attirant et en les unissant en elle. 55. La révélation chrétienne de lunité du genre humain présuppose une interprétation métaphysique de l humanum où la relation est un élément essentiel. Dautres cultures et dautres religions enseignent elles aussi la fraternité et la paix, et présentent donc une grande importance pour le développement humain intégral. Il nest pas rare cependant que des attitudes religieuses ou culturelles ne prennent pas pleinement en compte le principe de lamour et de la vérité; elles constituent alors un frein au véritable développement humain et même un empêchement. Le monde daujourdhui est pénétré par certaines cultures, dont le fond est religieux, qui nengagent pas lhomme à la communion, mais lisolent dans la recherche du bien-être individuel, se limitant à satisfaire ses attentes psychologiques. Une certaine prolifération ditinéraires religieux suivis par de petits groupes ou même par des personnes individuelles, ainsi que le syncrétisme religieux peuvent être des facteurs de dispersion et de désengagement. La tendance à favoriser un tel syncrétisme est un effet négatif possible du processus de mondialisation [132], lorsquil alimente des formes de « religion » qui rendent les personnes étrangères les unes aux autres au lieu de favoriser leur rencontre et qui les éloignent de la réalité. Dans le même temps, subsistent parfois des héritages culturels et religieux qui figent la société en castes sociales immuables, dans des croyances magiques qui ne respectent pas la dignité de la personne, dans des attitudes de sujétion à des forces occultes. Dans de tels contextes, lamour et la vérité peuvent difficilement saffirmer, non sans préjudice pour le développement authentique. Cest pourquoi, sil est vrai, dune part, que le développement a besoin des religions et des cultures des différents peuples, il nen reste pas moins vrai, dautre part, quopérer un discernement approprié est nécessaire. La liberté religieuse ne veut pas dire indifférence religieuse et elle nimplique pas que toutes les religions soient équivalentes [133]. Un discernement concernant la contribution que peuvent apporter les cultures et les religions en vue dédifier la communauté sociale dans le respect du bien commun savère nécessaire, en particulier de la part de ceux qui exercent le pouvoir politique. Un tel discernement devra se fonder sur le critère de la charité et de la vérité. Et puisque est en jeu le développement des personnes et des peuples, il devra tenir compte de la possibilité démancipation et dintégration dans la perspective dune communauté humaine vraiment universelle. « Tout lhomme et tous les hommes », cest un critère qui permet dévaluer aussi les cultures et les religions. Le Christianisme, religion du « Dieu qui possède un visage humain » [134] porte en lui un tel critère. 56. La religion chrétienne et les autres religions ne peuvent apporter leur contribution au développement que si Dieu a aussi sa place dans la sphère publique, et cela concerne les dimensions culturelle, sociale, économique et particulièrement politique. La doctrine sociale de lÉglise est née pour revendiquer ce « droit de cité» [135] de la religion chrétienne. La négation du droit de professer publiquement sa religion et duvrer pour que les vérités de la foi inspirent aussi la vie publique a des conséquences négatives sur le développement véritable. Lexclusion de la religion du domaine public, comme, par ailleurs, le fondamentalisme religieux, empêchent la rencontre entre les personnes et leur collaboration en vue du progrès de lhumanité. La vie publique sappauvrit et la politique devient opprimante et agressive. Les droits humains risquent de ne pas être respectés soit parce quils sont privés de leur fondement transcendant soit parce que la liberté personnelle nest pas reconnue. Dans le laïcisme et dans le fondamentalisme, la possibilité dun dialogue fécond et dune collaboration efficace entre la raison et la foi religieuse sévanouit. La raison a toujours besoin dêtre purifiée par la foi, et ceci vaut également pour la raison politique, qui ne doit pas se croire toute puissante. A son tour, la religion a toujours besoin dêtre purifiée par la raison afin quapparaisse son visage humain authentique. La rupture de ce dialogue a un prix très lourd au regard du développement de lhumanité. 57. Le dialogue fécond entre foi et raison ne peut que rendre plus efficace luvre de la charité dans le champ social et constitue le cadre le plus approprié pour encourager la collaboration fraternelle entre croyants et non-croyants dans leur commune intention de travailler pour la justice et pour la paix de lhumanité. Dans la Constitution pastorale Gaudium et Spes, les Pères du Concile affirmaient: « Croyants et incroyants sont généralement daccord sur ce point: tout sur terre doit être ordonné à lhomme comme à son centre et à son sommet » [136]. Pour les croyants, le monde nest le fruit ni du hasard ni de la nécessité, mais celui dun projet de Dieu. De là naît pour les croyants le devoir dunir leurs efforts à ceux de tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté appartenant à dautres religions ou non croyants, afin que notre monde soit effectivement conforme au projet divin: celui de vivre comme une famille sous le regard du Créateur. Le principe de subsidiarité [137], expression de linaliénable liberté humaine, est, à cet égard, une manifestation particulière de la charité et un guide éclairant pour la collaboration fraternelle entre croyants et non croyants. La subsidiarité est avant tout une aide à la personne, à travers lautonomie des corps intermédiaires. Cette aide est proposée lorsque la personne et les acteurs sociaux ne réussissent pas à faire par eux-mêmes ce qui leur incombe et elle implique toujours que lon ait une visée émancipatrice qui favorise la liberté et la participation en tant que responsabilisation. La subsidiarité respecte la dignité de la personne en qui elle voit un sujet toujours capable de donner quelque chose aux autres. En reconnaissant que la réciprocité fonde la constitution intime de lêtre humain, la subsidiarité est lantidote le plus efficace contre toute forme dassistance paternaliste. Elle peut rendre compte aussi bien des multiples articulations entre les divers plans et donc de la pluralité des acteurs, que de leur coordination. Il sagit donc dun principe particulièrement apte à gouverner la mondialisation et à lorienter vers un véritable développement humain. Pour ne pas engendrer un dangereux pouvoir universel de type monocratique, la « gouvernance » de la mondialisation doit être de nature subsidiaire, articulée à de multiples niveaux et sur divers plans qui collaborent entre eux. La mondialisation réclame certainement une autorité, puisque est en jeu le problème du bien commun quil faut poursuivre ensemble; cependant cette autorité devra être exercée de manière subsidiaire et polyarchique [138] pour, dune part, ne pas porter atteinte à la liberté et, dautre part, être concrètement efficace. 58. Le principe de subsidiarité doit être étroitement relié au principe de solidarité et vice-versa, car si la subsidiarité sans la solidarité tombe dans le particularisme, il est également vrai que la solidarité sans la subsidiarité tombe dans lassistanat qui humilie celui qui est dans le besoin. Cette règle de caractère général doit être prise sérieusement en considération notamment quand il sagit daffronter des questions relatives aux aides internationales pour le développement. Malgré lintention des donateurs, celles-ci peuvent parfois maintenir un peuple dans un état de dépendance et même aller jusquà favoriser des situations de domination locale et dexploitation dans le pays qui reçoit cette aide. Les aides économiques, pour être vraiment telles, ne doivent pas poursuivre des buts secondaires. Elles doivent être accordées en collaboration non seulement avec les gouvernements des pays intéressés, mais aussi avec les acteurs économiques locaux et les acteurs de la société civile qui sont porteurs de culture, y compris les Églises locales. Les programmes daide doivent prendre de plus en plus les caractéristiques de programmes intégrés soutenus par la base. Rappelons que la plus grande ressource à mettre en valeur dans les pays qui ont besoin daide au développement, est la ressource humaine: cest là le véritable capital quil faut faire grandir afin dassurer aux pays les plus pauvres un avenir autonome effectif. Il convient aussi de rappeler que, dans le domaine économique, laide primordiale dont les pays en voie de développement ont besoin est de permettre et de favoriser lintroduction progressive de leurs produits sur les marchés internationaux, rendant ainsi possible leur pleine participation à la vie économique internationale. Trop souvent, par le passé, les aides nont servi quà créer des marchés marginaux pour les produits de ces pays. Cela est souvent dû à labsence dune véritable demande pour ces produits: il est donc nécessaire daider ces pays à améliorer leurs produits et à mieux les adapter à la demande. Il faut souligner encore que nombreux sont ceux qui ont longtemps craint la concurrence des importations de produits, en général agricoles, provenant des pays économiquement pauvres. Il ne faut cependant pas oublier que pour ces pays, la possibilité de commercialiser ces produits signifie souvent assurer leur survie à court et à long terme. Un commerce international juste et équilibré dans le domaine agricole peut être profitable à tous, aussi bien du côté de loffre que de celui de la demande. Cest pourquoi, il est nécessaire, non seulement, dorienter ces productions sur le plan commercial, mais aussi détablir des règles commerciales internationales qui les soutiennent, tout en renforçant le financement des aides au développement pour rendre ces économies plus productives. 59. La coopération au développement ne doit pas prendre en considération la seule dimension économique; elle doit devenir une grande occasion de rencontre culturelle et humaine. Si les acteurs de la coopération des pays économiquement développés ne prennent pas en compte leur propre identité culturelle, comme cela arrive parfois, ni celle des autres et des valeurs humaines qui y sont liées, ils ne peuvent pas instaurer un dialogue profond avec les citoyens des pays pauvres. Si, à leur tour, ces derniers souvrent, indifféremment et sans discernement, à nimporte quelle proposition culturelle, ils ne sont plus en mesure dassumer la responsabilité de leur développement authentique [139]. Les sociétés technologiquement avancées ne doivent pas confondre leur propre développement technologique avec une prétendue supériorité culturelle, mais elles doivent redécouvrir en elles-mêmes les vertus, parfois oubliées, qui les ont fait progresser tout au long de leur histoire. Les sociétés en voie de développement doivent rester fidèles à tout ce qui est authentiquement humain dans leurs traditions, en évitant dy superposer automatiquement les mécanismes de la civilisation technologique mondiale. De multiples et singulières convergences éthiques se trouvent dans toutes les cultures ; elles sont lexpression de la même nature humaine, voulue par le Créateur et que la sagesse éthique de lhumanité appelle la loi naturelle [140]. Cette loi morale universelle est le fondement solide de tout dialogue culturel, religieux et politique et elle permet au pluralisme multiforme des diverses cultures de ne pas se détacher de la recherche commune du vrai, du bien et de Dieu. Ladhésion à cette loi inscrite dans les curs, est donc le présupposé de toute collaboration sociale constructive. Toutes les cultures ont des pesanteurs dont elles doivent se libérer, des ombres auxquelles elles doivent se soustraire. La foi chrétienne, qui sincarne dans les cultures en les transcendant, peut les aider à grandir dans la convivialité et dans la solidarité universelles au bénéfice du développement communautaire et planétaire. 60. Dans la recherche de solutions à la crise économique actuelle, laide au développement des pays pauvres doit être considérée comme un véritable instrument de création de richesse pour tous. Quel projet daide peut prévoir une croissance de valeur aussi significative y compris de léconomie mondiale comme peut le faire le soutien aux populations qui se trouvent encore à une phase initiale ou peu avancée de leur processus de développement économique ? Dans cette perspective, les États économiquement plus développés feront tout leur possible pour destiner aux aides au développement un pourcentage plus important de leur produit intérieur brut, en respectant les engagements pris dans ce domaine au niveau de la communauté internationale. Ils pourront le faire aussi en révisant leurs politiques intérieures dassistance et de solidarité sociale, y appliquant le principe de subsidiarité et créant des systèmes de protection sociale mieux intégrés, qui favorisent une participation active des personnes privées et de la société civile. De cette manière, il est même possible daméliorer les services sociaux et les organismes dassistance et, en même temps, dépargner des ressources en éliminant le gaspillage et les indemnités abusives, qui pourraient être destinées à la solidarité internationale. Un système de solidarité sociale plus largement participatif et mieux organisé, moins bureaucratique sans être pour autant moins coordonné, permettrait de valoriser de nombreuses énergies, actuellement en sommeil, et tournerait à lavantage de la solidarité entre les peuples. Une possibilité daide au développement pourrait résider dans lapplication efficace de ce quon appelle communément la subsidiarité fiscale, qui permettrait aux citoyens de décider de la destination dune part de leurs impôts versés à lÉtat. En ayant soin déviter toute dégénération dans le particularisme, cela peut aider à encourager des formes de solidarité sociale à partir des citoyens eux-mêmes, avec des bénéfices évidents sur le plan de la solidarité pour le développement. 61. Une solidarité plus large au niveau international sexprime avant tout en continuant à promouvoir, même dans des situations de crise économique, un meilleur accès à léducation, qui est, par ailleurs, la condition essentielle pour que la coopération internationale elle-même soit efficace. Le terme « éducation » ne renvoie pas seulement à linstruction ou à la formation professionnelle, toutes deux essentielles pour le développement, mais à la formation complète de la personne. A ce propos, il convient de souligner un aspect problématique: pour éduquer il faut savoir qui est la personne humaine, en connaître la nature. Une vision relativiste de cette nature qui tend à saffirmer de plus en plus pose de sérieux problèmes pour léducation, et en particulier pour léducation morale, car elle en compromet lextension au niveau universel. Si lon cède à un tel relativisme, tous deviennent plus pauvres et cela nest pas sans conséquences négatives sur lefficacité même des aides en faveur des populations démunies, qui nont pas que des nécessités économiques ou techniques mais qui ont aussi besoin de voies et de moyens pédagogiques qui puissent soutenir les personnes en vue de leur plein épanouissement humain. Un exemple de limportance de ce problème nous est offert par le phénomène du tourisme international [141] qui peut constituer un facteur notable de développement économique et de croissance culturelle, mais qui peut aussi se transformer en occasion dexploitation et de déchéance morale. La situation actuelle offre des opportunités uniques pour que les aspects économiques du développement, cest-à-dire les mouvements de fonds et la création au niveau local dentreprises dimportance significative, arrivent à être associés aux aspects culturels, au nombre desquels laspect éducatif figure en premier lieu. Cela se réalise en de nombreux cas, mais en bien dautres le tourisme international est un facteur contre-éducatif aussi bien pour le touriste que pour les populations locales. Ces dernières sont souvent confrontées à des comportements immoraux ou même pervers, comme cest le cas du tourisme dit sexuel, pour lequel tant dêtres humains sont sacrifiés, même à un jeune âge. Il est douloureux de constater que cela se produit souvent avec laval des gouvernements locaux, avec le silence de ceux doù proviennent les touristes et avec la complicité de nombreux opérateurs de ce secteur. Même si lon natteint pas toujours de tels excès, le tourisme international est vécu, bien souvent, dans un esprit de consommation et de manière hédoniste; il est vu comme une évasion, avec des modes dorganisation spécifiques aux pays de provenance, de sorte quil ne favorise en rien une rencontre véritable entre personnes et cultures. Il convient alors dimaginer un tourisme différent, capable de promouvoir une vraie connaissance réciproque, sans enlever les espaces nécessaires au repos et à un sain divertissement: un tourisme de ce type doit être développé, en favorisant des liens plus étroits entre les expériences de coopération internationale et celles dentreprises pour le développement. 62. Le phénomène des migrations est un autre aspect qui mérite attention quand on parle de développement humain intégral. Cest un phénomène qui impressionne en raison du nombre de personnes quil concerne, des problématiques sociale, économique, politique, culturelle et religieuse quil soulève, et à cause des défis dramatiques quil lance aux communautés nationales et à la communauté internationale. Nous pouvons dire que nous nous trouvons face à un phénomène social caractéristique de notre époque, qui requiert une politique de coopération internationale forte et perspicace sur le long terme afin dêtre pris en compte de manière adéquate. Une telle politique doit être développée en partant dune étroite collaboration entre les pays dorigine des migrants et les pays où ils se rendent; elle doit saccompagner de normes internationales adéquates, capables dharmoniser les divers ordres législatifs, dans le but de sauvegarder les exigences et les droits des personnes et des familles émigrées et, en même temps, ceux des sociétés où arrivent ces mêmes émigrés. Aucun pays ne peut penser être en mesure de faire face seul aux problèmes migratoires de notre temps. Nous sommes tous témoins du poids de souffrances, de malaise et daspirations qui accompagne les flux migratoires. La gestion de ce phénomène est complexe, nous le savons tous; il savère toutefois que les travailleurs étrangers, malgré les difficultés liées à leur intégration, apportent par leur travail, une contribution appréciable au développement économique du pays qui les accueille, mais aussi à leur pays dorigine par leurs envois dargent. Il est évident que ces travailleurs ne doivent pas être considérés comme une marchandise ou simplement comme une force de travail. Ils ne doivent donc pas être traités comme nimporte quel autre facteur de production. Tout migrant est une personne humaine qui, en tant que telle, possède des droits fondamentaux inaliénables qui doivent être respectés par tous et en toute circonstance [142]. 63. En considérant les problèmes du développement, on ne peut omettre de souligner le lien étroit existant entre pauvreté et chômage. Dans de nombreux cas, la pauvreté est le résultat de la violation de la dignité du travail humain, soit parce que les possibilités de travail sont limitées (chômage ou sous-emploi), soit parce quon mésestime « les droits qui en proviennent, spécialement le droit au juste salaire, à la sécurité de la personne du travailleur et de sa famille » [143]. Cest pourquoi, le 1er mai 2000, mon Prédécesseur de vénérée mémoire, Jean-Paul II, lançait un appel à loccasion du Jubilé des Travailleurs pour « une coalition mondiale en faveur du travail digne » [144], en encourageant la stratégie de lOrganisation Internationale du Travail. De cette manière, il donnait une forte réponse morale à cet objectif auquel aspirent les familles dans tous les pays du monde. Que veut dire le mot « digne » lorsquil est appliqué au travail? Il signifie un travail qui, dans chaque société, soit lexpression de la dignité essentielle de tout homme et de toute femme: un travail choisi librement, qui associe efficacement les travailleurs, hommes et femmes, au développement de leur communauté; un travail qui, de cette manière, permette aux travailleurs dêtre respectés sans aucune discrimination; un travail qui donne les moyens de pourvoir aux nécessités de la famille et de scolariser les enfants, sans que ceux-ci ne soient eux-mêmes obligés de travailler; un travail qui permette aux travailleurs de sorganiser librement et de faire entendre leur voix; un travail qui laisse un temps suffisant pour retrouver ses propres racines au niveau personnel, familial et spirituel; un travail qui assure aux travailleurs parvenus à lâge de la retraite des conditions de vie dignes. 64. En réfléchissant sur le thème du travail, il est opportun dévoquer lexigence urgente que les organisations syndicales des travailleurs, qui ont toujours été encouragées et soutenues par lÉglise, souvrent aux nouvelles perspectives qui émergent dans le domaine du travail. Dépassant les limites propres des syndicats catégoriels, les organisations syndicales sont appelées à affronter les nouveaux problèmes de nos sociétés: je pense, par exemple, à lensemble des questions que les spécialistes en sciences sociales repèrent dans les conflits entre individu-travailleur et individu-consommateur. Sans nécessairement épouser la thèse selon laquelle on est passé de la position centrale du travailleur à celle du consommateur, il semble toutefois que cela soit un terrain favorable à des expériences syndicales novatrices. Le contexte densemble dans lequel se déroule le travail requiert lui aussi que les organisations syndicales nationales, qui se limitent surtout à la défense des intérêts de leurs propres adhérents, se tournent vers ceux qui ne le sont pas et, en particulier, vers les travailleurs des pays en voie de développement où les droits sociaux sont souvent violés. La défense de ces travailleurs, promue aussi à travers des initiatives opportunes envers les pays dorigine, permettra aux organisations syndicales de mettre en évidence les authentiques raisons éthiques et culturelles qui leur ont permis, dans des contextes sociaux et de travail différents, dêtre un facteur décisif du développement. Lenseignement traditionnel de lÉglise reste toujours valable lorsquil propose la distinction des rôles et des fonctions du syndicat et de la politique. Cette distinction permettra aux organisations syndicales de déterminer dans la société civile le domaine qui sera le plus approprié à leur action nécessaire pour la défense et la promotion du monde du travail, surtout en faveur des travailleurs exploités et non représentés, dont lamère condition demeure souvent ignorée par les yeux distraits de la société. 65. Il faut enfin que la finance en tant que telle, avec ses structures et ses modalités de fonctionnement nécessairement renouvelées après le mauvais usage qui en a été fait et qui a eu des conséquences néfastes sur léconomie réelle, redevienne un instrument visant à une meilleure production de richesses et au développement. Toute léconomie et toute la finance, et pas seulement quelques-uns de leurs secteurs, doivent, en tant quinstruments, être utilisés de manière éthique afin de créer les conditions favorables pour le développement de lhomme et des peuples. Il est certainement utile, et en certaines circonstances indispensable, de donner vie à des initiatives financières où la dimension humanitaire soit dominante. Mais cela ne doit pas faire oublier que le système financier tout entier doit être orienté vers le soutien dun développement véritable. Il faut surtout que lobjectif de faire le bien ne soit pas opposé à celui de la capacité effective à produire des biens. Les opérateurs financiers doivent redécouvrir le fondement véritablement éthique de leur activité afin de ne pas faire un usage abusif de ces instruments sophistiqués qui peuvent servir à tromper les épargnants. Lintention droite, la transparence et la recherche de bons résultats sont compatibles et ne doivent jamais être séparés. Si lamour est intelligent, il sait trouver même les moyens de faire des opérations qui permettent une juste et prévoyante rétribution, comme le montrent, de manière significative, de nombreuses expériences dans le domaine du crédit coopératif. Une réglementation de ce secteur qui vise à protéger les sujets les plus faibles et à empêcher des spéculations scandaleuses, tout comme lexpérimentation de formes nouvelles de finance destinées à favoriser des projets de développement sont des expériences positives quil faut approfondir et encourager, en faisant appel à la responsabilité même de lépargnant. Lexpérience de la microfinance elle aussi, qui senracine dans la réflexion et dans laction de citoyens humanistes je pense surtout à la création des Monts de Piété , doit être renforcée et actualisée, surtout en ces temps où les problèmes financiers peuvent devenir dramatiques pour les couches les plus vulnérables de la population quil faut protéger contre les risques du prêt usuraire ou du désespoir. Il faut que les sujets les plus faibles apprennent à se défendre des pratiques usuraires, tout comme il faut que les peuples pauvres apprennent à tirer profit du microcrédit, décourageant de cette manière les formes dexploitation possibles en ces deux domaines. Puisquil existe également de nouvelles formes de pauvreté dans les pays riches, la microfinance peut apporter des aides concrètes pour la création dinitiatives et de secteurs nouveaux en faveur des franges les plus fragiles de la société, même en une période dappauvrissement possible de lensemble de la société. 66. Linterconnexion mondiale a fait surgir un nouveau pouvoir politique, celui des consommateurs et de leurs associations. Cest un phénomène sur lequel il faut approfondir la réflexion: il comporte des éléments positifs quil convient dencourager et aussi des excès à éviter. Il est bon que les personnes se rendent compte quacheter est non seulement un acte économique mais toujours aussi un acte moral. Le consommateur a donc une responsabilité sociale précise qui va de pair avec la responsabilité sociale de lentreprise. Les consommateurs doivent être éduqués en permanence [145] sur le rôle quils jouent chaque jour et quils peuvent exercer dans le respect des principes moraux, sans diminuer la rationalité économique intrinsèque de lacte dacheter. Dans ce domaine des achats aussi, surtout en des moments comme ceux que nous vivons, où le pouvoir dachat risque de saffaiblir et où il faudra consommer de manière plus sobre, il est opportun douvrir dautres voies, comme par exemple des formes de coopération à lachat, telles que les coopératives de consommation, créées à partir du XIXe siècle grâce notamment à linitiative des catholiques. Il est en outre utile de favoriser de nouvelles formes de commercialisation des produits en provenance des régions pauvres de la planète afin dassurer aux producteurs une rétribution décente, à condition toutefois que le marché soit vraiment transparent, que les producteurs ne reçoivent pas seulement des marges bénéficiaires supérieures mais aussi une meilleure formation, une compétence professionnelle et technologique et quenfin des idéologies partisanes ne soient pas associées à de telles expériences déconomie pour le développement. Il est souhaitable que, comme facteur de démocratie économique, les consommateurs aient un rôle plus décisif, à condition quils ne soient pas eux-mêmes manipulés par des associations peu représentatives. 67. Face au développement irrésistible de linterdépendance mondiale, et alors que nous sommes en présence dune récession également mondiale, lurgence de la réforme de lOrganisation des Nations Unies comme celle de larchitecture économique et financière internationale en vue de donner une réalité concrète au concept de famille des Nations, trouve un large écho. On ressent également fortement lurgence de trouver des formes innovantes pour concrétiser le principe de la responsabilité de protéger [146] et pour accorder aux nations les plus pauvres une voix opérante dans les décisions communes. Cela est dautant plus nécessaire pour la recherche dun ordre politique, juridique et économique, susceptible daccroître et dorienter la collaboration internationale vers le développement solidaire de tous les peuples. Pour le gouvernement de léconomie mondiale, pour assainir les économies frappées par la crise, pour prévenir son aggravation et de plus grands déséquilibres, pour procéder à un souhaitable désarmement intégral, pour arriver à la sécurité alimentaire et à la paix, pour assurer la protection de lenvironnement et pour réguler les flux migratoires, il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale telle quelle a déjà été esquissée par mon Prédécesseur, le bienheureux Jean XXIII. Une telle Autorité devra être réglée par le droit, se conformer de manière cohérente aux principes de subsidiarité et de solidarité, être ordonnée à la réalisation du bien commun [147], sengager pour la promotion dun authentique développement humain intégral qui sinspire des valeurs de lamour et de la vérité. Cette Autorité devra en outre être reconnue par tous, jouir dun pouvoir effectif pour assurer à chacun la sécurité, le respect de la justice et des droits [148]. Elle devra évidemment posséder la faculté de faire respecter ses décisions par les différentes parties, ainsi que les mesures coordonnées adoptées par les divers forums internationaux. En labsence de ces conditions, le droit international, malgré les grands progrès accomplis dans divers domaines, risquerait en fait dêtre conditionné par les équilibres de pouvoir entre les plus puissants. Le développement intégral des peuples et la collaboration internationale exigent que soit institué un degré supérieur dorganisation à léchelle internationale de type subsidiaire pour la gouvernance de la mondialisation [149] et que soit finalement mis en place un ordre social conforme à lordre moral et au lien entre les sphères morale et sociale, entre le politique et la sphère économique et civile que prévoyait déjà le Statut des Nations Unies.
LE DÉVELOPPEMENT DES PEUPLES 68. Le thème du développement des peuples est intimement lié à celui du développement de chaque homme. Par nature, la personne humaine est en tension dynamique vers son développement. Il ne sagit pas dun développement assuré par des mécanismes naturels, car chacun de nous se sait capable de faire des choix libres et responsables. Il ne sagit pas non plus dun développement livré à notre fantaisie, puisque nous savons tous que nous sommes donnés à nous-mêmes, sans être le résultat dun auto-engendrement. En nous, la liberté humaine est, dès lorigine, caractérisée par notre être et par ses limites. Personne ne modèle arbitrairement sa conscience, mais tous construisent leur propre « moi » sur la base dun « soi » qui nous a été donné. Non seulement nous ne pouvons pas disposer des autres, mais nous ne pouvons pas davantage disposer de nous-mêmes. Le développement de la personne sétiole, si elle prétend en être lunique auteur. Analogiquement, le développement des peuples se dénature, si lhumanité croit pouvoir se recréer en sappuyant sur les prodiges de la technologie. De même, le développement économique savère factice et nuisible, sil sen remet aux prodiges de la finance pour soutenir une croissance artificielle liée à une consommation excessive. Face à cette prétention prométhéenne, nous devons manifester un amour plus fort pour une liberté qui ne soit pas arbitraire, mais vraiment humanisée par la reconnaissance du bien qui la précède. Dans ce but, il faut que lhomme rentre en lui-même pour reconnaître les normes fondamentales de la loi morale que Dieu a inscrite dans son cur. 69. Le problème du développement est aujourdhui très étroitement lié au progrès technologique et à ses stupéfiantes applications dans le domaine de la biologie. La technique il est bon de le souligner est une réalité profondément humaine, liée à lautonomie et à la liberté de lhomme. Elle exprime et affirme avec force la maîtrise de lesprit sur la matière. Lesprit, rendu ainsi « moins esclave des choses, peut facilement sélever jusquà ladoration et à la contemplation du Créateur » [150]. La technique permet de dominer la matière, de réduire les risques, déconomiser ses forces et daméliorer les conditions de vie. Elle répond à la vocation même du travail humain: par la technique, uvre de son génie, lhomme reconnaît ce quil est et accomplit son humanité. La technique est laspect objectif de lagir humain [151], dont lorigine et la raison dêtre résident dans lélément subjectif: lhomme qui travaille. Cest pourquoi la technique nest jamais purement technique. Elle manifeste lhomme et ses aspirations au développement, elle exprime la tendance de lesprit humain au dépassement progressif de certains conditionnements matériels. La technique sinscrit donc dans la mission de cultiver et de garder la terre (cf. Gn 2, 15) que Dieu a confiée à lhomme, et elle doit tendre à renforcer lalliance entre lêtre humain et lenvironnement appelé à être le reflet de lamour créateur de Dieu. 70. Le développement technologique peut amener à penser que la technique se suffit à elle-même, quand lhomme, en sinterrogeant uniquement sur le comment, omet de considérer tous les pourquoi qui le poussent à agir. Cest pour cela que la technique prend des traits ambigus. Née de la créativité humaine comme instrument de la liberté de la personne, elle peut être comprise comme un élément de liberté absolue, liberté qui veut saffranchir des limites que les choses portent en elles-mêmes. Le processus de mondialisation pourrait substituer aux idéologies la technologie [152], devenue à son tour un pouvoir idéologique qui exposerait lhumanité au risque de se trouver enfermée dans un a priori doù elle ne pourrait sortir pour rencontrer lêtre et la vérité. Dans un tel cas, tous nous connaîtrions, apprécierions et déterminerions toutes les situations de notre vie à lintérieur dun horizon culturel technocratique auquel nous appartiendrions structurellement, sans jamais pouvoir trouver un sens qui ne soit pas notre uvre. Cette vision donne aujourdhui à la mentalité techniciste tant de force quelle fait coïncider le vrai avec le faisable. Mais lorsque les seuls critères de vérité sont lefficacité et lutilité, le développement est automatiquement nié. En effet, le vrai développement ne consiste pas dabord dans le faire. La clef du développement, cest une intelligence capable de penser la technique et de saisir le sens pleinement humain du faire de lhomme, sur lhorizon de sens de la personne prise dans la globalité de son être. Même quand lhomme agit à laide dun satellite ou dune impulsion électronique à distance, son action reste toujours humaine, expression dune liberté responsable. La technique attire fortement lhomme, parce quelle le soustrait aux limites physiques et quelle élargit son horizon. Mais la liberté humaine nest vraiment elle-même que lorsquelle répond à la fascination de la technique par des décisions qui sont le fruit de la responsabilité morale. Il en résulte quil est urgent de se former à la responsabilité éthique dans lusage de la technique. Partant de la fascination quexerce la technique sur lêtre humain, on doit retrouver le vrai sens de la liberté, qui ne réside pas dans livresse dune autonomie totale, mais dans la réponse à lappel de lêtre, en commençant par lêtre que nous sommes nous-mêmes. 71. Les phénomènes de la technicisation aussi bien du développement que de la paix montrent clairement que la mentalité technique a pu être détournée de sa source humaniste originaire. Le développement des peuples est souvent considéré comme un problème dingénierie financière, douverture des marchés, dabattement de droits de douane, dinvestissements productifs et de réformes institutionnelles: en définitive comme un problème purement technique. Tous ces domaines sont assurément importants, mais on doit se demander pourquoi les choix de nature technique nont connu jusquici que des résultats imparfaits. La raison doit être recherchée plus en profondeur. Le développement ne sera jamais complètement garanti par des forces, pour ainsi dire automatiques et impersonnelles, que ce soit celles du marché ou celles de la politique internationale. Le développement est impossible, sil ny a pas des hommes droits, des acteurs économiques et des hommes politiques fortement interpellés dans leur conscience par le souci du bien commun. La compétence professionnelle et la cohérence morale sont nécessaires lune et lautre. Quand labsolutisation de la technique prévaut, il y a confusion entre les fins et les moyens: pour lhomme daffaires, le seul critère daction sera le profit maximal de la production ; pour lhomme politique, le renforcement du pouvoir; pour le scientifique, le résultat de ses découvertes. Ainsi, il arrive souvent que, dans les réseaux des échanges économiques, financiers ou politiques, demeurent des incompréhensions, des malaises et des injustices; les flux des connaissances techniques se multiplient, mais au bénéfice de leurs propriétaires, tandis que la situation réelle des populations qui vivent sous ces flux dont elles ignorent presque tout, demeure inchangée et sans possibilité réelle démancipation. 72. La paix, elle aussi, risque parfois dêtre considérée comme un produit technique, fruit des seuls accords entre les gouvernements ou dinitiatives destinées à procurer des aides économiques efficaces. Il est vrai que bâtir la paix demande que lon tisse sans cesse des contacts diplomatiques, des échanges économiques et technologiques, des rencontres culturelles, des accords sur des projets communs, ainsi que le déploiement defforts réciproques pour endiguer les menaces de guerre et couper à la racine la tentation récurrente du terrorisme. Toutefois, pour que ces efforts puissent avoir des effets durables, il est nécessaire quils sappuient sur des valeurs enracinées dans la vérité de la vie. Autrement dit, il faut écouter la voix des populations concernées et examiner leur situation pour en interpréter les attentes avec justesse. On doit, pour ainsi dire, sinscrire dans la continuité de leffort anonyme de tant de personnes fortement engagées pour promouvoir les rencontres entre les peuples et favoriser le développement à partir de lamour et de la compréhension réciproques. Parmi ces personnes, se trouvent aussi des chrétiens, impliqués dans la grande tâche de donner au développement et à la paix un sens pleinement humain. 73. Au développement technologique est liée la diffusion croissante des moyens de communication sociale. Il est désormais presque impossible dimaginer que la famille humaine puisse exister sans eux. Pour le bien et pour le mal, ils sont insérés à ce point dans la vie du monde, quil semble vraiment absurde, comme certains le font, de prétendre quils seraient neutres, et de revendiquer leur autonomie à légard de la morale relative aux personnes. De telles perspectives, qui soulignent à lexcès la nature strictement technique des médias, favorisent en réalité leur subordination au calcul économique, dans le but de dominer les marchés et, ce qui nest pas le moins, au désir dimposer des paramètres culturels de fonctionnement à des fins idéologiques et politiques. Etant donné leur importance fondamentale dans la détermination des changements dans la manière de percevoir et de connaître la réalité et la personne humaine elle-même, il devient nécessaire de réfléchir attentivement à leur influence, en particulier sur le plan éthico-culturel de la mondialisation et du développement solidaire des peuples. Conformément à ce que requiert une gestion correcte de la mondialisation et du développement, le sens et la finalité des médias doivent être recherchés sur une base anthropologique. Cela signifie quils peuvent être une occasion dhumanisation non seulement quand, grâce au développement technologique, ils offrent de plus grandes possibilités de communication et dinformation, mais surtout quand ils sont structurés et orientés à la lumière dune image de la personne et du bien commun qui en respecte les valeurs universelles. Les moyens de communication sociale ne favorisent pas la liberté de tous et nuniversalisent pas le développement et la démocratie pour tous, simplement parce quils multiplient les possibilités dinterconnexion et de circulation des idées. Pour atteindre de tels objectifs, il faut quils aient pour objectif principal la promotion de la dignité des personnes et des peuples, quils soient expressément animés par la charité et mis au service de la vérité, du bien et dune fraternité naturelle et surnaturelle. Dans lhumanité, en effet, la liberté est intrinsèquement liée à ces valeurs supérieures. Les médias peuvent constituer une aide puissante pour faire grandir la communion de la famille humaine et lethos des sociétés, quand ils deviennent des instruments de promotion de la participation de tous à la recherche commune de ce qui est juste. 74. Un domaine primordial et crucial de laffrontement culturel entre la technique considérée comme un absolu et la responsabilité morale de lhomme est aujourdhui celui de la bioéthique, où se joue de manière radicale la possibilité même dun développement humain intégral. Il sagit dun domaine particulièrement délicat et décisif, où émerge avec une force dramatique la question fondamentale de savoir si lhomme sest produit lui-même ou sil dépend de Dieu. Les découvertes scientifiques en ce domaine et les possibilités dintervention technique semblent tellement avancées quelles imposent de choisir entre deux types de rationalité, celle de la raison ouverte à la transcendance et celle dune raison close dans limmanence technologique. On se trouve devant un ou bien, ou bien (aut aut) décisif. Pourtant, la rationalité de lagir technique centré sur lui-même savère irrationnelle, parce quelle comporte un refus décisif du sens et de la valeur. Ce nest pas un hasard si la fermeture à la transcendance se heurte à la difficulté de comprendre comment du néant a pu jaillir lêtre et comment du hasard est née lintelligence [153]. Face à ces problèmes dramatiques, la raison et la foi saident réciproquement. Ce nest quensemble quelles sauveront lhomme. Attirée par lagir technique pur, la raison sans la foi est destinée à se perdre dans lillusion de sa toute-puissance. La foi, sans la raison, risque de devenir étrangère à la vie concrète des personnes [154]. 75. Paul VI avait déjà reconnu et mis en évidence lhorizon mondial de la question sociale [155]. En le suivant sur ce chemin, il faut affirmer aujourdhui que la question sociale est devenue radicalement une question anthropologique, au sens où elle implique la manière même, non seulement de concevoir, mais aussi de manipuler la vie, remise toujours plus entre les mains de lhomme par les biotechnologies. La fécondation in vitro, la recherche sur les embryons, la possibilité du clonage et de lhybridation humaine apparaissent et sont promues dans la culture contemporaine du désenchantement total qui croit avoir dissipé tous les mystères, parce quon est désormais parvenu à la racine de la vie. Cest ici que labsolutisme de la technique trouve son expression la plus grande. Dans ce genre de culture, la conscience nest appelée à prendre acte que dune pure possibilité technique. On ne peut minimiser alors les scénarios inquiétants pour lavenir de lhomme ni la puissance des nouveaux instruments dont dispose la « culture de mort ». À la plaie tragique et profonde de lavortement, pourrait sajouter à lavenir, et cest déjà subrepticement in nuce (en germe), une planification eugénique systématique des naissances. Dun autre côté, on voit une mens eutanasica (mentalité favorable à leuthanasie) se frayer un chemin, manifestation tout aussi abusive dune volonté de domination sur la vie, qui, dans certaines conditions, nest plus considérée comme digne dêtre vécue. Derrière tout cela se cachent des positions culturelles négatrices de la dignité humaine. Ces pratiques, à leur tour, renforcent une conception matérialiste et mécaniste de la vie humaine. Qui pourra mesurer les effets négatifs dune pareille mentalité sur le développement ? Comment pourra-t-on sétonner de lindifférence devant des situations humaines de dégradation, si lindifférence caractérise même notre attitude à légard de la frontière entre ce qui est humain et ce qui ne lest pas? Ce qui est stupéfiant, cest la capacité de sélectionner arbitrairement ce qui, aujourdhui, est proposé comme digne de respect. Prompts à se scandaliser pour des questions marginales, beaucoup semblent tolérer des injustices inouïes. Tandis que les pauvres du monde frappent aux portes de lopulence, le monde riche risque de ne plus entendre les coups frappés à sa porte, sa conscience étant désormais incapable de reconnaître lhumain. Dieu révèle lhomme à lhomme; la raison et la foi collaborent pour lui montrer le bien, à condition quil veuille bien le voir; la loi naturelle, dans laquelle resplendit la Raison créatrice, montre la grandeur de lhomme, mais aussi sa misère, quand il méconnaît lappel de la vérité morale. 76. Un des aspects de lesprit techniciste moderne se vérifie dans la tendance à ne considérer les problèmes et les mouvements liés à la vie intérieure que dun point de vue psychologique, et cela jusquau réductionnisme neurologique. Lhomme est ainsi privé de son intériorité, et lon assiste à une perte progressive de la conscience de la consistance ontologique de lâme humaine, avec les profondeurs que les Saints ont su sonder. Le problème du développement est strictement lié aussi à notre conception de lâme humaine, dès lors que notre moi est souvent réduit à la psyché et que la santé de lâme se confond avec le bien-être émotionnel. Ces réductions se fondent sur une profonde incompréhension de la vie spirituelle et elles conduisent à méconnaître que le développement de lhomme et des peuples dépend en fait aussi de la résolution de problèmes de nature spirituelle. Le développement doit comprendre une croissance spirituelle, et pas seulement matérielle, parce que la personne humaine est une « unité dâme et de corps » [156], née de lamour créateur de Dieu et destinée à vivre éternellement. Lêtre humain se développe quand il grandit dans lesprit, quand son âme se connaît elle-même et connaît les vérités que Dieu y a imprimées en germe, quand il dialogue avec lui-même et avec son Créateur. Loin de Dieu, lhomme est inquiet et fragile. Laliénation sociale et psychologique, avec toutes les névroses qui caractérisent les sociétés opulentes, sexplique aussi par des causes dordre spirituel. Une société du bien-être, matériellement développée, mais oppressive pour lâme, nest pas de soi orientée vers un développement authentique. Les nouvelles formes desclavage de la drogue et le désespoir dans lequel tombent de nombreuses personnes ont une explication non seulement sociologique et psychologique, mais essentiellement spirituelle. Le vide auquel lâme se sent livrée, malgré de nombreuses thérapies pour le corps et pour la psyché, produit une souffrance. Il ny pas de développement plénier et de bien commun universel sans bien spirituel et moral des personnes, considérées dans lintégrité de leur âme et de leur corps. 77. Labsolutisme de la technique tend à provoquer une incapacité à percevoir ce qui ne sexplique pas par la simple matière. Pourtant, les hommes expérimentent tous les nombreux aspects de leur vie qui ne sont pas de lordre de la matière, mais de lesprit. Connaître nest pas seulement un acte physique, car le connu cache toujours quelque chose qui va au-delà du donné empirique. Chacune de nos connaissances, même la plus simple, est toujours un petit prodige, parce quelle ne sexplique jamais complètement par les instruments matériels que nous utilisons. En toute vérité, il y a plus que tout ce à quoi nous nous serions attendus; dans lamour que nous recevons, il y a toujours quelque chose qui nous surprend. Nous ne devrions jamais cesser de nous étonner devant ces prodiges. En chaque connaissance et en chaque acte damour, lâme de lhomme fait lexpérience dun « plus » qui sapparente beaucoup à un don reçu, à une hauteur à laquelle nous nous sentons élevés. Le développement de lhomme et des peuples se place lui aussi à une hauteur semblable, si nous considérons la dimension spirituelle que doit nécessairement comporter ce développement pour quil puisse être authentique. Il demande des yeux et un cur nouveaux, capables de dépasser la vision matérialiste des événements humains et dentrevoir dans le développement un au-delà que la technique ne peut offrir. Sur ce chemin, il sera possible de poursuivre ce développement humain intégral dont le critère dorientation se trouve dans la force active de la charité dans la vérité.
78. Sans Dieu, lhomme ne sait où aller et ne parvient même pas à comprendre qui il est. Face aux énormes problèmes du développement des peuples qui nous pousseraient presque au découragement et au défaitisme, la parole du Seigneur Jésus Christ vient à notre aide en nous rendant conscients de ce fait que: « Sans moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5); elle nous encourage: « Je suis avec vous tous les jours jusquà la fin du monde » (Mt 28, 20). Face à lampleur du travail à accomplir, la présence de Dieu aux côtés de ceux qui sunissent en son Nom et travaillent pour la justice nous soutient. Paul VI nous a rappelé dans Populorum progressio que lhomme nest pas à même de gérer à lui seul son progrès, parce quil ne peut fonder par lui-même un véritable humanisme. Nous ne serons capables de produire une réflexion nouvelle et de déployer de nouvelles énergies au service dun véritable humanisme intégral que si nous nous reconnaissons, en tant que personnes et en tant que communautés, appelés à faire partie de la famille de Dieu en tant que fils. La plus grande force qui soit au service du développement, cest donc un humanisme chrétien [157], qui ravive la charité et se laisse guider par la vérité, en accueillant lune et lautre comme des dons permanents de Dieu. Louverture à Dieu entraîne louverture aux frères et à une vie comprise comme une mission solidaire et joyeuse. Inversement, la fermeture idéologique à légard de Dieu et lathéisme de lindifférence, qui oublient le Créateur et risquent doublier aussi les valeurs humaines, se présentent aujourdhui parmi les plus grands obstacles au développement. Lhumanisme qui exclut Dieu est un humanisme inhumain. Seul un humanisme ouvert à lAbsolu peut nous guider dans la promotion et la réalisation de formes de vie sociale et civile dans le cadre des structures, des institutions, de la culture et de lethos en nous préservant du risque de devenir prisonniers des modes du moment. Cest la conscience de lAmour indestructible de Dieu qui nous soutient dans lengagement, rude et exaltant, en faveur de la justice, du développement des peuples avec ses succès et ses échecs, dans la poursuite incessante dun juste ordonnancement des réalités humaines. Lamour de Dieu nous appelle à sortir de ce qui est limité et non définitif ; il nous donne le courage dagir et de persévérer dans la recherche du bien de tous, même sil ne se réalise pas immédiatement, même si ce que nous-mêmes, les autorités politiques, ainsi que les acteurs économiques réussissons à faire est toujours inférieur à ce à quoi nous aspirons [158]. Dieu nous donne la force de lutter et de souffrir par amour du bien commun, parce quIl est notre Tout, notre plus grande espérance. 79. Le développement a besoin de chrétiens qui aient les mains tendues vers Dieu dans un geste de prière, conscients du fait que lamour riche de vérité, caritas in veritate, doù procède lauthentique développement, nest pas produit par nous, mais nous est donné. Cest pourquoi, même dans les moments les plus difficiles et les situations les plus complexes, nous devons non seulement réagir en conscience, mais aussi et surtout nous référer à son amour. Le développement suppose une attention à la vie spirituelle, une sérieuse considération des expériences de confiance en Dieu, de fraternité spirituelle dans le Christ, de remise de soi à la Providence et à la Miséricorde divine, damour et de pardon, de renoncement à soi-même, daccueil du prochain, de justice et de paix. Tout cela est indispensable pour transformer les «curs de pierre » en « curs de chair » (Ez 36, 26), au point de rendre la vie sur terre « divine » et, par conséquent, plus digne de lhomme. Tout cela vient à la fois de lhomme, parce que lhomme est le sujet de son existence, et de Dieu, parce que Dieu est au principe et à la fin de tout ce qui a de la valeur et qui libère: « Le monde et la vie et la mort, le présent et lavenir: tout est à vous ! Mais vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu » (1 Co 3, 22-23). Le chrétien désire ardemment que toute la famille humaine puisse appeler Dieu « Notre Père ! ». Avec le Fils unique, puissent tous les hommes apprendre à prier le Père et à Lui demander, avec les mots que Jésus lui-même nous a enseignés, de savoir Le sanctifier en vivant selon Sa volonté, et ensuite davoir le pain quotidien nécessaire, dêtre compréhensifs et généreux à légard de leurs débiteurs, de ne pas être mis à lépreuve à lexcès et dêtre délivrés du mal (cf. Mt 6, 9-13) ! Au terme de lAnnée Paulinienne, il me plaît dexprimer ce vu avec les paroles mêmes de lApôtre dans sa Lettre aux Romains: « Que votre amour soit sans hypocrisie. Fuyez le mal avec horreur, attachez-vous au bien. Soyez unis les uns les autres par laffection fraternelle, rivalisez de respect les uns pour les autres » (12, 9-10). Que la Vierge Marie, proclamée par Paul VI Mère de lÉglise et honorée par le peuple chrétien comme Miroir de la justice et Reine de la paix, nous protège et nous obtienne, par son intercession céleste, la force, lespérance et la joie nécessaires pour continuer à nous dévouer généreusement à la réalisation du « développement de tout lhomme et de tous les hommes » [159] ! Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 29 juin 2009, fête des saints Apôtres Pierre et Paul, en la cinquième année de mon pontificat.
[1] Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 22: AAS 59 (1967), 268; La Documentation catholique (par la suite: DC ) 64 (1967) col. 682; cf. Conc. cum. Vat. II, Const. past. sur lÉglise dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n. 69, §1. [2] Paul VI, Allocution de la messe pour la Journée du développement, Bogota, 23 août 1968: AAS 60 (1968) pp. 626-627; DC 65 (1968) col. 1547. [3] Cf. Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de prière pour la Paix 2002: AAS 94 (2002), 132-140; DC 99 (2002) pp. 4-8.[4] Cf. Conc. cum. Vat. II, Const. Past. sur lÉglise dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n. 26. [5] Cf. Jean XXIII, Lett. enc. Pacem in terris (11 avril 1963), nn. 68-70: AAS 55 (1963), 268-270; DC 60 (1963) col. 525-526.[6] Cf. n. 16: loc. cit., 265; DC 64 (1967) col. 680. [7] Cf. ibid., n. 82: loc. cit., 297; DC 64 (1967) col. 701.[8] Ibid., n. 42: loc. cit., 278; DC 64 (1967) col. 689. [9] Ibid., n. 20: loc. cit., 267; DC 64 (1967) col. 681. [10] Cf. Conc. cum. Vat. II; Const. Past sur lÉglise dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n.36; Paul VI, Lett. apost. Octogesima adveniens (14 mai 1971), n. 4: AAS 63 (1971), 403-404; DC 68 (1971) pp. 502-503; Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 43: AAS 83 (1991), 847; DC 88 (1991) p. 540. [11] Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 13: loc. cit., 263-264; DC 64 (1967) col. 679.[12] Cf. Conseil pontifical pour la Justice et la Paix, Compendium de la Doctrine Sociale de lÉglise, n. 76. [13] Cf. Benoît XVI, Discours dinauguration de la Ve Conférence générale de lÉpiscopat dAmérique latine et des Caraibes, Aparecida 13 mai 2007; DC 104 (2007) pp. 532-541.[14] Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), nn. 3.4.5: loc. cit., 258-260; DC 64 (1967) col. 675-676. [15] Cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), nn. 6.7: AAS 80 (1988), 517-519; DC 85 (1988) p. 235.[16] Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 14: loc. cit., 264; DC 64 (1967) col. 679. [17] Benoît XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre 2005), n 18: AAS 98 (2006), 232; DC 103 (2006) p. 175.[18] Ibid., n. 6: loc. cit., 222; DC, ibid. p. 169. [19] Cf. Benoît XVI, Discours à la Curie Romaine pour la présentation des vux de Noël; LOsservatore Romano en langue française (par la suite: Oss. Rom. fr.) n. 52 (2005) pp. 3-5.[20] Cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 3: loc. cit., 515; DC 85 (1988) p. 234. [21] Cf. ibid. n. 1: loc. cit. , 513-514; DC 85 (1988) p. 234. [22] Cf. ibid. n. 3: loc. cit., 515; DC 85 (1988) p. 234.[23] Jean-Paul II, Lett. enc. Laborem exercens (14 septembre 1981), n. 3: AAS 73 (1981), 583-584; DC 78 (1981) p. 837. [24] Cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 3: loc. cit., 794-796; DC 88 (1991) pp. 518-519.[25] Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 3: loc. cit., 258; DC 64 (1967) col. 675. [26] Cf. ibid., n. 34: loc. cit., 274 ; DC 64 (1967) col. 686.[27] Cf. nn. 8-9: AAS 60 (1968), 485-487; DC 65 (1968) col. 1445-1446; Benoît XVI, Audience au Congrès International organisé à loccasion du 40e anniversaire dHumanæ vitæ, 10 mai 2008; Oss. Rom. fr. n. 20 (2008) p. 5. [28] Cf. Lett. enc. Evangelium vitæ (25 mars 1995), n. 93: AAS 87 (1995), 507-508; DC 92 (1995) pp. 397-398.[29] Ibid., n. 101: loc. cit., 516-518; DC 92 (1995) p. 401-402. [30] n. 29: AAS 68 (1976), 25; DC 73 (1976) p. 6.[31] Ibid., n. 31: loc. cit., 26; DC 73 (1976) p. 6. [32] Cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 41: loc. cit., 570-572; DC 85 (1988) p. 251.[33] Cf. ibid.; Idem, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), nn. 5.54: loc. cit., 799.859-860; DC 88 (1991) pp. 520-521, 545-546. [34] N. 15: loc. cit., 265; DC 64 (1967) col. 679. [35] Cf. ibid., n. 2; DC 64 (1967) col. 675; Léon XIII, Lett. enc. Rerum novarum (15 mai 1891), n. 1: Leonis XIII P.M. Acta, XI, Romæ 1892, 97; Jean-Paul II, Lett. enc. Sollicitudo rei socialis(30 décembre 1987), n. 8: loc. cit., 519-520; DC 85 (1988) pp. 235-236; Idem., Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 5: loc. cit., 799; DC 88 (1991) pp. 520-521. [36] Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), nn. 2. 13; DC 64 (1967) col. 675. 679. [37] Ibid., n. 42: loc. cit., 278; DC 64 (1967) col. 689.[38] Ibid., n. 11; DC 64 (1967) col. 678 ; cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 25: loc. cit., 822-824; DC 88 (1991) pp. 230-231. [39] Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 15: loc. cit., 265; DC 64 (1967) col. 679. [40] Ibid., n. 3: loc. cit., 258; DC 64 (1967) col. 675.[41] Ibid., n. 6: loc. cit., 260; DC 64 (1967) col. 676. [42] Ibid., n. 14: loc. cit., 264; DC 64 (1967) col. 679.[43] Ibid.; cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), nn. 53-62: loc. cit., 859-867; DC 88 (1991) pp. 545-548; Idem, Lett. enc. Redemptor hominis (4 mars 1979), nn. 13-14: AAS 71 (1979), 282-286; DC 76 (1979) pp. 308-309. [44] Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 12: loc. cit., 262-263; DC 64 (1967) col. 678. [45] Conc. cum. Vat. II, Const. past sur lÉglise dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n. 22.[46] Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 13: loc. cit., 263-264; DC 64 (1967) col. 679. [47] Cf. Benoît XVI, Discours aux participants du IVe Congrès ecclésial national italien, Vérone, 19 octobre 2006, Oss. Rom. fr. n. 43 (2006) p. 3-4.[48] Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 16: loc. cit., 265 ; DC 64 (1967) col. 680. [51] Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 20: loc. cit., 267; DC 64 (1967) col. 681.[52] Ibid., n. 66: loc. cit., 289-290; DC 64 (1967) col. 696. [53] Ibid., n. 21: loc. cit., 267-268; DC 64 (1967) col. 681.[54] Cf. nn. 3.29.32: loc. cit., 258.272.273; DC 64 (1967) col. 675. 684-685. [55] Cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 28: loc. cit., 548-550; DC 85 (1988) p. 244.[56] Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 9: loc. cit., 261-262; DC 64 (1967) col. 677. [57] Cf. Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 20: loc. cit., 536-537; DC 85 (1988) pp. 240-241.[58] Cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), passim; DC 88 (1991) pp. 518-550, passim. [59] Cf. nn. 23.33: loc. cit., 268-269.273-274; DC 64 (1967) col. 682. 685-686.[60] Cf. loc. cit., 135. [61] Conc. cum. Vat. II, Const. past. Sur lÉglise dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n. 63.[62] Cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 24: loc. cit., 821-822; DC 88 (1991) p. 431. [63] Cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Veritatis splendor (6 août 1993), nn. 33.46.51: AAS 85 (1993), 1160.1169-1171; DC 90 (1993) pp. 913, 917, 918-920; Id., Message à lAssemblée des Nations Unies, 5 octobre 1995, n. 3; DC 92 (1995) p. 918.[64] Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 47: loc. cit., 280-281; DC 64 (1967) col. 690-691; Jean-Paul II, Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 42: loc. cit., 572-574; DC 85 (1988) p. 252. [65] Cf. Benoît XVI, Message à la FAO pour la Journée mondiale de lalimentation 2007: AAS 99 (2007), 933-935; DC 105 (2008) pp. 55-56.[66] Cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Evangelium vitæ (25 mars 1995), nn. 18.59.63-64: loc. cit.,419-421.467-468.472-475; DC 92 (1995) pp. 359, 381, 383, 384. [67] Cf. Benoît XVI, Message pour la Journée mondiale de la paix 2007, n. 5; DC 104 (2007) p. 57.[68] Cf. Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de la Paix 2002, nn. 4-7,12-15: AAS 94 (2002), 134-136.138-140; DC 99 (2002) pp. 5-6, 7-8; Id., Message pour la Journée mondiale de la Paix 2004, n. 8: AAS 96 (2004), 119; DC 101 (2004) pp. 7; Id., Message pour la Journée mondiale de la Paix 2005, n. 4: AAS 97 (2005), 177-178; DC 102 (2005) p. 5; Benoît XVI, Message pour la Journée mondiale de la Paix 2006, nn. 9-10: AAS 98 (2006), 60-61; DC 103 (2006) pp. 4-5; Id., Message pour la Journée mondiale de la Paix 2007, nn. 5.14: loc. cit., 778, 782-783; DC 104 (2007) pp. 57. 59-60. [69] Cf. Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de la Paix 2002, n. 6: loc. cit, 135; DC 99 (2002) pp. 5-6; Benoît XVI, Message pour la Journée mondiale de la Paix 2006, nn. 9-10: loc. cit., 60-61; DC 103 (2006) pp. 4-5.[70] Cf. Benoît XVI, Homélie pour la messe sur lIslinger Feld de Ratisbonne, 12 septembre 2006; DC 103 (2006) pp. 921-923. [71] Cf. Benoît XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre 2005), n. 1: loc. cit., 217-218; DC 103 (2006) p. 166.[72] Jean-Paul II, Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 28: loc. cit., 548-550; DC 85 (1988) p. 244. [73] Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 19: loc. cit., 266-267; DC 64 (1967) col. 681.[74] Ibid., n. 39: loc. cit., 276-277; DC 64 (1967) col. 688. [75] Ibid., n. 75: loc. cit., 293-294; DC 64 (1967) col. 699.[76] Cf. Benoît XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre 2005), n. 28: loc. cit., 238-240; DC 103 (2006) pp. 178-180. [77] Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 59: loc. cit., 864; DC 88 (1991) p. 547.[78] Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), nn. 40.85: loc. cit., 277.298-299; DC 64 (1967) col. 688. 702. [79] Ibid., n. 13: loc. cit., 263-264; DC 64 (1967) col. 679.[80] Cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Fides et ratio (14 septembre 1998), n. 85: AAS 91 (1999), 72-73; DC 95 (1998) p. 932. [81] Cf. Ibid., n. 83: loc. cit., 70-71; DC 95 (1998) p. 931.[82] Benoît XVI, Discours à lUniversité de Ratisbonne, 12 septembre 2006; DC 103 (2006) pp. 924-929. [83] Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 33: loc. cit., 273-274; DC 64 (1967) col. 685.[84] Cf. Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de la Paix 2000, n. 15: AAS 92 (2000), 366; DC 97 (2000) pp. 4-5. [85] Catéchisme de lÉglise catholique, n. 407. Cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 25: loc. cit., 822-824. DC 88 (1991), pp. 530-531.[86] Cf. n.17: AAS 99 (2007), 1000. DC 105 (2008) p. 22. [87] Cfr. ibid., n. 23: loc. cit., 1004-1005. DC 105 (2008) pp. 24-25.[88] Saint Augustin expose de façon détaillée cet enseignement dans le dialogue sur le libre arbitre (De libero arbitrio II 3, 8 ss.). Il indique lexistence dans lâme humaine dun « sens interne ». Ce sens consiste en un acte qui se réalise en dehors des fonctions normales de la raison, acte spontané et quasi instinctif, pour lequel la raison, se rendant compte de sa condition éphémère et faillible, admet au-dessus de soi lexistence de quelque chose déternel, dabsolument vrai et certain. Le nom que saint Augustin donne à cette vérité intérieure est parfois celui de Dieu (Confessions X, 24, 35; XII, 25, 35; De libero arbitrio II 3, 8, 27), plus souvent celui du Christ (De magistro 11, 38; Confessions VII, 18, 24; XI, 2, 4). [89] Benoît XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre 2005), n. 3: loc. cit., 219. DC 103 (2006) p. 167.[90] Cf. n. 49: loc. cit., 281. DC 64 (1967) col. 691. [91] Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 28: loc. cit., 827-828. DC 88 (1991) p. 532.[92] Cf. n. 35: loc. cit., 836-838. DC 88 (1991) pp. 535-536. [93] Cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 38: loc. cit., 565-566. DC 85 (1988) pp. 249-250.[94] N. 44: loc. cit., 279. DC 64 (1967), col. 690. [95] Cf. ibid., n. 24: loc. cit., 269. DC 64 (1967) col. 682-683.[96] Cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 36: loc. cit., 838-840. DC 88 (1991) pp. 248-249. [97] Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 24: loc. cit., 269. DC 64 (1967) col. 682-683.[98] Cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 32: loc. cit., 832-833. DC 88 (1991) pp. 246-247; Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 25: loc. cit., 269-270. DC 64 (1967) col. 683. [99] Jean-Paul II, Lett. enc. Laborem exercens (14 septembre 1981), n. 24: loc. cit., 637-638. DC 78 (1981) p. 852.[100] Ibid., n. 15: loc. cit., 616-618. DC 78 (1981) p. 846. [101] Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 27: loc. cit., 271. DC 64 (1967) col. 684.[102] Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction Libertatis conscientia (22 mars 1987), n. 74: AAS 79 (1987), 587. DC 83 (1986) p. 405. [103] Cf. Jean-Paul II, Interview au quotidien catholique La Croix, du 20 août 1997.[104] Jean-Paul II, Discours à lAcadémie des Sciences sociales, 27 avril 2001; Oss. Rom. fr. 19 (2001), p. 9. [105] Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 17: loc. cit., 265-266; DC 64 (1967) col. 680.[106] Cf. Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2003, n. 5: AAS 95 (2003), 343; DC 100 (2003) p. 6. [107] Cf. ibid.[108] Cf. Benoît XVI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2007, n. 13: loc. cit., 781-782; DC 104 (2007) p. 59. [109] Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 65: loc. cit., 289; DC 64 (1967) col. 696.[110] Cf. ibid. nn. 36.37: loc. cit., 275-276; DC 64 (1967) col. 687. [111] Cf. ibid. n. 37: loc. cit., 275-276; DC 64 (1967) col. 687.[112] Cf. Conc. cum. Vat. II, Décr. Apostolicam actuositatem, n. 11. [113] Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 14: loc. cit., 264; Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 32: loc. cit., 832-833; DC 88 (1991) p. 534.[114] Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967) n 77: loc. cit., 295; DC 64 (1967) p. 700. [115] Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 6: AAS 82 (1990), 150; DC 87 (1990) p. 10. [116] Héraclite dEphèse (Ephèse 535 av. J-C environ 475 av. J-C environ), Fragment 22B124, en H. Diels et W. Kranz, Die Fragmente der Vorsokratiker, Weidmann, Berlin 19526.[117] Cf. Conseil Pontifical pour la Justice et la Paix, Compendium de la Doctrine Sociale de lÉglise, nn. 451-487. [118] Cf. Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 10: loc. cit., 152-153; DC 87 (1990) p. 11.[119] Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 65: loc. cit., 289; DC 64 (1967) col. 696. [120] Benoît XVI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2008, n. 7: AAS 100 (2008), 41; DC 105 (2008) p. 4.[121] Cf. Benoît XVI, Discours aux membres de lAssemblée Générale de lOrganisation des Nations Unies, New York, 18 avril 2008; DC 105 (2008) pp. 533-537. [122] Cf. Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 13: loc. cit., 154-155; DC 87 (1990) pp. 11-12.[123] Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 36: loc. cit., 838-840; DC 88 (1991) pp. 536-537. [124] Ibid. n. 38: loc. cit., 840-841; DC 88 (1991) pp. 537-538; Benoît XVI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2007, n.8: loc. cit., 779; DC 104 (2007) pp. 57-58.[125] Cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 41: loc. cit., 843-845; DC 88 (1991) pp. 538-539. [126] Cf. ibid.[127] Cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Evangelium vitæ (25 mars 1995), n. 20: loc. cit., 422-424; DC 92 (1995) p. 360. [128] Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 85: loc. cit., 298-299; DC 64 (1967) p. 702.[129] Cf. Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1998, n. 3: AAS 90 (1998), 150; DC 95 (1998) pp. 2-3; Id., Discours aux membres de la Fondation Centesimus annus pro Pontefice, 9 mai 1998, n. 2; Oss. Rom. fr. n. 20 (1998) p. 2; Id., Discours aux Autorités et au Corps diplomatique, Vienne, 20 juin 1998, n. 8; DC 95 (1998) p. 689 ; Id., Message au Recteur de lUniversité catholique du Sacré-Cur, 5 mai 2000, n. 6; Insegnamenti di Giovanni Paolo II XXIII, 1 (2000), 759-760. [130] Selon saint Thomas « ratio partis contrariatur rationi personae » in III Sent. D. 5, 3, 2; et aussi « Homo non ordinatur ad communitatem politicam secundum se totum et secundum omnia sua » in Summa Theologiae I-II, q. 21, a. 4, ad 3um.[131] Cf. Conc. cum. Vat. II, Const. dogm. sur lÉglise Lumen gentium, n.1. [132] Cf. Jean-Paul II, Discours à la VIe séance publique des Académies Pontificales, 8 novembre 2001, n. 3; Oss. Rom. fr. n. 47 (2001) p. 6.[133] Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration Dominus Iesus (6 août 2000), n. 22: AAS 92 (2000), 763-764; DC 97 (2000) p. 820; Id., Note doctrinale à propos de questions sur lengagement et le comportement des catholiques dans la vie politique (24 novembre 2002), n. 8; DC 100 (2003) p. 136. [134] Benoît XVI, Lett. enc. Spe salvi (30 novembre 2007), n. 31: loc. cit., 1010; DC 105 (2008) p.28; Id. Discours aux participants du IVe Congrès ecclésial national italien, Vérone, 19 octobre 2006; Oss. Rom. fr. n. 43 (2006) pp. 3-5.[135] Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 5: loc. cit., 798-800; DC 88 (1991) p. 521; Benoît XVI, Discours aux participants du IVe Congrès ecclésial national italien, Vérone, 19 octobre 2006; Oss. Rom. fr. n. 43 (2006) pp. 3-5. [136] N. 12.[137] Cf. Pie XI, Lett. enc. Quadragesimo anno (15 mai 1931): AAS 23 (1931) 203; Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 48: loc. cit., 852-854; DC 88 (1991) p. 543; cf. Catéchisme de lÉglise catholique, n.1883. [138] Cf. Jean XXIII, Lett. enc. Pacem in terris (11 avril 1963), n. 74: loc. cit., 274; DC 60 (1963) col. 526-527.[139] Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), nn. 10.41: loc. cit., 262.277-278; DC 64 (1967) col. 677-678. 688-689. [140] Cf. Benoît XVI, Discours aux membres de la Commission théologique internationale, 5 octobre 2007; DC 104 (2007) pp. 1084-1086 ; Id., Discours au Congrès international sur la loi naturelle, Université pontificale du Latran, 12 février 2007; DC 104 (2007) pp. 354-356.[141] Cf. Benoît XVI, Discours aux évêques de Thaïlande en visite ad limina, 16 mai 2008; DC 105 (2008) p. 652. Oss. Rom. fr. n. 22 (2008) p. 10. [142] Cf. Conseil pontifical pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en déplacement, Instruction Erga migrantes caritas Christi, 3 mai 2004: AAS 96 (2004), 762-822; DC 101 (2004) pp. 658-692.[143] Jean-Paul II, Lett. enc. Laborem exercens (14 septembre 1981), n. 8: loc. cit., 594-598; DC 78 (1981) p. 840. [144] Jean-Paul II, Jubilé des Travailleurs, Discours au terme de la concélébration eucharistique; DC 97 (2000) p. 455.[145] Cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 36: loc. cit., 838-840; DC 88 (1991) p. 536. [146] Cf. Benoît XVI, Discours aux membres de lAssemblée Générale de lOrganisation des Nations Unies, New York, 18 avril 2008; DC 105 (2008) pp. 533-537.[147] Cf. Jean XXIII, Lett. enc. Pacem in terris (11 avril 1963): loc. cit., 293; DC 60 (1963) col. 526-527; Conseil pontifical pour la Justice et la Paix, Compendium de la Doctrine Sociale de lÉglise, n. 441. [148] Cf. Conc. cum. Vat. II, Const. Past. sur lÉglise dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n. 82.[149] Cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 43: loc. cit., 574-575; DC 85 (1988) pp. 252-253. [150] Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 41: loc. cit., 277-278; DC 64 (1967) col. 688; cf. Conc. cum. Vat. II, Const. past. sur lÉglise dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n. 57, § 4.[151] Cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Laborem exercens (14 septembre 1981), n. 5: loc. cit., 586-589; DC 78 (1981) p. 838. [152] Cf. PaulVI, Lett. ap. Octogesima adveniens (14 mai 1971), n. 29: loc. cit., 420; DC 68 (1971) p. 508.[153] Cf. Benoît XVI, Discours aux participants du IVe Congrès ecclésial national italien, Vérone, 19 octobre 2006; Oss. Rom. fr. n. 43 (2006) pp. 3-5 ; Id. Homélie pour la messe sur lIslinger Feld de Ratisbonne, 12 septembre 2006, 12 septembre 2006; DC 103 (2006) pp. 921-923. [154] Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction Dignitas personae sur quelques questions de bioéthique (8 septembre 2008): AAS 100 (2008), 858-887; DC 106 (2009) pp. 23-38.[155] Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 3: loc. cit., 258. DC 64 (1967) col. 675. [156] Conc. cum. Vat. II, Const. past. sur lÉglise dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n. 14. [157] Cf. n. 42: loc. cit., 278; DC 64 (1967) col. 689.[158] Cf. Benoît XVI, Lett. enc. Spe salvi (30 novembre 2007), n. 35: loc. cit., 1013-1014; DC 105 (2008) pp. 29-30. [159] Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 42: loc. cit., 278; DC 64 (1967) col. 689. |