La science ne peut pas sauver le monde

Jérôme Lejeune
Professeur de Génétique fondamentale à l'Université de Paris
Membre de l'Académie Pontificale des Sciences

La transmission de la vie
La pornographie biologique
Le respect de la nature humaine
Stérilité du couple
Les maladies génétiques
Faust et Promothée

 

Discours prononcé par le Professeur Jérôme Lejeune
devant les Pères Synodaux, le 8 octobre 1987
L'Osservatore Romano du 20 octobre 1987

 

En marge des développements de la technologie, on observe actuellement une curieuse évolution du sens que l'on donne aux mots. Quel novateur assez hardi s'aviserait de parler de morale de reproduction? On dit de nos jours éthique. Et bien que ces deux termes, l'un latin, l'autre grec, aient même valeur sémantique, ils ne recouvrent plus la même marchandise.

Celui qui parle de morale entend que les moeurs devraient se conformer à des lois supérieures, alors que celui qui parle d'éthique sous-entend que les lois devraient se conformer aux moeurs.

Depuis deux mille ans et plus, la médecine se bat contre la maladie et contre la mort, mais certains prétendent aujourd'hui que cet engagement n'est plus irréversible. Dans les débats sur le respect de la vie ou sur l'élimination des patients, la rhétorique la plus passionnée et la plus destructive paraît l'emporter sur la raison. Jamais exemple plus terrible n'en a été donné qu'à l'Abbaye de Royaumont il y a quelque quatorze années.

Une femme très impressionnante, parlant avec autorité au nom d'une association dont elle refusa de révéler le nom, déclara:

"Nous voulons détruire la civilisation judéo-chrétienne. Pour la détruire nous devons détruire la famille. Pour détruire la famille nous devons l'attaquer dans son maillon le plus faible, l'enfant qui n'est pas né encore. Donc nous sommes pour l'avortement".

Je cite de mémoire, car sur les cinquante journalistes présents, aucun ne rapporta ce propos, mais ces quelques mots révèlent pourquoi les discussions sur ce sujet ont toujours un goût amer.

A l'évidence, certains manipulateurs de l'opinion utilisent des questions techniques comme des armes anti-chrétiennes, qu'il s'agisse de la fabrication artificielle d'êtres humains in vitro ou de l'élimination délibérée de sujets très jeunes ou très malades, ou très âgés. Ils savent que toute dépréciation de la nature humaine est un coup porté à la Foi. Dans son livre Aborting America, le docteur Bernard Nathanson, aujourd'hui devenu un fer-vent avocat de la vie, révèle la stratégie forgée par le petit groupe qui avorta l'Amérique. Réalisant que pour tout catholique "l'avortement et l'infanticide sont des crimes abominables", ils décidèrent de ne jamais attaquer l'Eglise de front, mais de toujours s'en prendre à la "hiérarchie" présentée comme une puissance hostile et anonyme. Ainsi pensaient-ils détacher certains et les irriter contre leurs évêques: si le pasteur est menacé, peut-être le troupeau se dispersera-t-il?

On agitera devant vous le spectre de la science prétendument bâillonnée par une morale dépassée, on lèvera contre vous l'étendard tyrannique de l'expérimentation à tout va... Evêques, n'ayez pas peur. Vous avez les paroles de vie.

La transmission de la vie

La Vie a une très longue histoire mais chacun de nous a un commencement bien précis, le moment de la conception. Les enfants sont constamment unis à leurs parents par un lien matériel, la longue molécule d'ADN sur laquelle se trouve inscrite toute l'information génétique en un langage invariablement miniaturisé. Dans la tête d'un spermatozoïde il y a un mètre d'ADN, coupé en 23 morceaux. Chacun d'eux est minutieusement replié en spirale pour former de petits bâtonnets bien visibles avec un microscope ordinaire, les chromosomes. Sitôt que le spermatozoïde a perforé la zone pellucide, véritable sac de plastique dans lequel l'ovule est enrobé, la membrane devient brusquement impénétrable à toute autre cellule reproductrice. En termes purement opérationnels ce verrouillage confirme que sitôt que les 23 chromosomes paternels apportés par le spermatozoïde et les 23 maternels portés par l'ovule sont réunis, toute l'information nécessaire et suffisante pour édicter la constitution génétique du nouvel être humain se trouve rassemblée.

Dès le début de la vie l'âme et le corps, l'esprit et la matière sont si étroitement imbriqués que nous utilisons le même mot pour définir comment une idée nous vient à l'esprit ou comment un être vient à la vie. L'enfant ou l'idée sont d'abord conçus: la vie du corps et celle de l'esprit requièrent d'abord une conception.

Le fait que l'enfant se développe ensuite pendant neuf mois dans le sein de sa mère ne modifie en rien la condition humaine: au commencement il y a un message et ce message est la vie; et si ce message est un message humain, alors cette vie est une vie humaine.

Parce que des maladies vénériennes et d'autres états pathologiques peuvent obstruer les trompes (dans lesquelles la rencontre du spermatozoïde et de l'ovule a normalement lieu), on a proposé de contourner l'obstacle par une intervention chirurgicale délicate mais minime, un ovule mûr est prélevé sur l'ovaire et déposé dans une fiole; l'addition de spermatozoïdes entraîne la fécondation.

Quelques jours plus tard, le minuscule embryon d'un millimètre et demi de diamètre, qui s'organise fébrilement à l'intérieur de la zone pellucide peut être transféré dans l'utérus de sa mère. Si les premiers techniciens , les docteurs Edwards et Steptoe, prirent le risque de transférer la très petite Louise Brown, le premier bébé conçu par fécondation extra-corporelle, dans l'utérus de Mme. Brown, c'est parce que toute la génétique et toute la biologie leur assuraient que ce petit être n'était ni une tumeur ni un parasite mais bien un être humain merveilleusement jeune, le propre enfant de Mr. et Mme. Brown.

Avec des milliers d'enfants déjà conçus de cette façon , c'est un fait expérimental que d'affirmer que l'être humain débute à la conception.

Protégé dans sa capsule de survie (la zone pellucide d'abord, puis les membranes du sac amniotique dont il s'enveloppe ensuite) le tout jeune être humain est exactement aussi viable et autonome qu'un cosmonaute sur la lune. Les fluides vitaux doivent être fournis par le vaisseau-mère. A ce jour, nous ne possédons pas de distributeur artificiel de fluides: le gîte et la nourriture doivent être fournis par l'organisme féminin. La croissance complète in vitro, l'ectogénèse, si courante chez les animaux inférieurs n'est pas réalisable, pour l'instant dans note espèce.

La pornographie biologique

Pour exprimer la durée qu'on mesure avec une horloge et la chaleur qu'on contrôle avec un thermomètre nous utilisons la même racine latine, le temps et la température. Ces deux notions sont effectivement étroitement liées puisque la température est une mesure statistique de l'agitation des particules et que ce mouvement désordonné est la définition même de l'écoulement du temps. Le refroidissement ralentit l'agitation et le temps local coule moins vite. Près du zéro absolu, le temps paraît s'arrêter tout à fait.

L'extraordinaire vitalité des spermatozoïdes et aussi des embryons très jeunes, leur permet de supporter le froid intense et d'être ainsi conservé, si l'on peut dire, dans un temps suspendu. D'où les banques de sperme, très employées en art vétérinaire, et la possibilité de banques d'embryons humains que certains rêvent d'exploiter.

Depuis la mise en conserve de produits de qualité garantie, jusqu'à leur transfert (après réchauffement) dans des utérus de louage, il serait tout à fait déplacé de discuter ici toutes les modalités proposées. La gémellité artificielle est même envisagée, soit pour tester les qualités les qualités génétiques sur le "double" ainsi sacrifié, soit pour le préserver comme un stock de pièces détachées en vue d'un éventuel remplacement d'organes.

Dans un registre moins sophistiqué, les "mères porteuses" sont fort à la mode; étrange pudibonderie moderne que cette production d'enfants adultérins par seringue médicalement téléguidée. Plus aberrante encore étant, neuf mois plus tard, la vente de son enfant par la mère biologique!

Dans plusieurs pays se développe une campagne réclamant le droit d'expérimenter sur des embryons humains. Exactement comme l'avaient fait les avorteurs, les promoteurs de l'expérimentation sur l'homme, prétendent bruyamment qu'au nom de la démocratie, les catholiques n'ont pas le droit d'imposer leur morale aux autres. Argument fort étrange en vérité puisqu'il prétend empêcher une certaine catégorie de citoyens d'avoir leur mot à dire, alors que la démocratie, justement, n'existe que si les citoyens peuvent exprimer librement leur opinion par un vote.

Le respect de la nature humaine

L'expression nature humaine, n'est guère en vogue ces temps-ci. Il n'empêche que la nature humaine existe. Les chromosomes des anthropoïdes ressemblent en gros à ceux de l'homme, mais certaines particularités sont typiques de chaque espèce. Un coup d'œil au microscope permet de reconnaître aisément les chromosomes d'un chimpanzé de ceux d'un gorille, ou d'un orang-outan, ou, bien sûr d'un homme. Mais l'examen microscopique n'est même pas indispensable.

Dans chaque ville deux endroits fort instructifs méritent d'être visités: le campus universitaire et le jardin zoologique.

On voit parfois dans les universités de très éminents spécialistes se demander gravement si dans leur prime jeunesse, leurs propres enfants n'étaient pas, après tout, des animaux. Mais jusqu'ici dans les zoo on n'a jamais vu des chimpanzés réunis en congrès se demander si un beau jour, leurs enfants ne deviendraient pas des universitaires! La seule conclusion possible est qu'il y a bien une différence!

Et cette différence devient flagrante lorsqu'il s'agit de la reproduction. Autant qu'on puisse imaginer leur psychologie, les chimpanzés ont vraisemblablement des pulsions sexuelles assez comparables aux nôtres. Mais le plus malin des chimpanzés ne pourra jamais comprendre qu'il existe une relation causale entre la copulation et la survenue d'un petit chimpanzé, quelque neuf mois plus tard.

L'homme est la seule créature qui ait toujours su que l'amour et la procréation sont unis par nature. Les anciens ne représentaient-ils pas la passion amoureuse sous les traits d'un enfant?

Cette connaissance donne sa dignité au comportement reproductif de notre espèce. Il n'est pas naturel de dissocier l'amour charnel de la procréation, mais il est pleinement conforme d'utiliser les lois de la nature pour contrôler la procréation. D'où la chasteté continue dans le célibat et l'abstention périodique dans le mariage.
En un mot:

  • la contraception toxique, qui est de faire l'amour sans faire l'enfant,
  • la fécondation extra-corporelle qui est de faire l'enfant sans faire l'amour,
  • l'avortement qui est défaire l'enfant,
  • et la pornographie qui est défaire l'amour, sont des pratiques contraires à la nature du mariage.

Au tout début de l'être, dès le moment de la conception, la nature humaine est là. C'est elle qui nous enseigne que l'embryon n'est ni une denrée périssable qu'on congèle ou décongèle à volonté, ni un bien de consommation qu'on vend ou qu'on négocie, ni un matériel d'expérimentation, ni un stock de pièces détachées. Dès sa plus tendre jeunesse l'embryon humain est un membre à part entière de notre espèce et doit être protégé de toute exploitation.

Mais ce respect de la nature humaine n'impose-t-il pas de nouveaux tabous, et ne risque-t-il pas, à parler net, d'être un empêchement grave pour la recherche? A cette question souvent posée (la dialectique ne perd pas ses droits), la réponse est claire: absolument non. Pour comprendre pourquoi, examinons deux questions: le combat contre la stérilité et la lutte contre les maladies génétiques.

Stérilité du couple

L'acte conjugal est la seule façon naturelle de déposer les cellules reproductrices mâles à l'intérieur du corps féminin par l'union des deux personnes. Cette union physique qui seule est capable de rendre valide et définitif l'engagement des personnes est un acte désiré et voulu par les époux. La fécondation de l'ovule par un spermatozoïde surviendra éventuellement des heures plus tard, mais l'union des cellules reproductrices est alors une conséquence de la physiologie corporelle et ne dépend plus du contrôle conscient et délibéré des époux.

Il existe donc une différence de nature entre l'apport des gamètes masculins, par l'union des personnes, l'acte de l'amour proprement dit, et l'union des gamètes, l'acte de fécondation à l'échelle cellulaire. Il en résulte que si le technicien se substitue au mari pour apporter les gamètes, il accomplit alors, par seringue interposée, l'acte naturellement réservé à l'union des époux. En ce sens il y a substitutio personnarum.

En revanche, si le technicien supprime l'obstacle qui empêchait l'union des cellules reproductrices, on lève la difficulté hormonale ou autre qui gênait la fécondation, il s'agit bien alors d'un adjutorium naturae.

Cette distinction purement opérationnelle entre les deux possibilités d'action (d'ailleurs strictement conforme à la doctrine exposée dans l'instruction Donum Vitae), n'est nullement académique. Qu'il me soit permis de citer à ce sujet la réflexion un peu choquante mais fort éclairante d'une femme venant de subir le transfert de son embryon, après fécondation extra-corporelle. L'anesthésiste, le gynécologue et le biologiste venaient d'opérer dans une atmosphère respectueuse, égayée par une musique douce. Quelques instants plus tard la future mère, à son mari troublé lui demandant comment la chose s'était passée, répondit tout à trac: "j'ai fait l'amour avec les trois". Cette phrase qui, peut être, brave l'honnêteté est une description réaliste, que seule une femme pouvait découvrir, de la substitutio personnarum dont nous parlions précédemment.
Reste à remarquer que les conséquences de la fécondation extra-corporelle sont redoutables pour l'embryon. Le technicien qui l'élève pendant 2 ou 3 jours ou le conserve au froid pendant des années, est en fait le seul à voir la puissance parentale effective sur l'enfant. D'où les risques d'exploitation précédemment évoqués et tous les usages pervers imaginés déjà ou encore inimaginables. En revanche, l'enfant conçu in corpore materno, se trouve protégé de tous ces dangers par le lieu même de sa conception. Non seulement le sein maternel est un abri incomparablement mieux équipé chimiquement et physiologiquement que le laboratoire le plus performant, mais ce temple secret est peut être le seul lieu véritablement digne de la venue au monde d'un nouvel être humain appelé d'emblée à l'éternité.

S'il m'était permis de risquer une opinion, je dirais que le long détour hors du corps maternel impliqué par la fécondation extra-corporelle n'est pas une solution favorable et que les progrès et l'aide à la nature le feront considérer dans un avenir proche comme une complication indésirable et nullement nécessaire. Deux écoles apparaîtront: - l'une guérira la stérilité (par les plasties, les greffes, le génie biologique, que sais-je); - l'autre s'obstinera dans la fécondation hors du corps de la femme, mais son but avoué ne sera plus la lutte contre l'infertilité mais l'emprise arbitraire sur le destin des hommes.

Les maladies génétiques

L'amniocentèse, la biopsie chorionique, ou les imageries modernes permettent une détection précoce de certaines anomalies. L'élimination des enfants reconnus malades est le but avoué de ces pratiques. Il ne faut pas oublier que dans presque tous les pays cette élimination des enfants dits anormaux a servi au lancement des campagnes en faveur de l'avortement: le bataillon des malheureux, des malformés a ouvert la brèche à l'élimination des mal venus, des mal aimés!

La santé par la mort est l'avortement de la médecine. Toute l'histoire est là pour nous démontrer que ceux qui ont délivré l'humanité de la peste et de la rage n'étaient pas ceux qui brûlaient les pestiférés dans leurs maisons ou étouffaient les enragés entre deux matelas. C'est la maladie qu'il faut vaincre, non le patient qu'il faut attaquer.

Il y a deux ans le Parlement Britannique discutait d'un projet de loi visant à protéger l'embryon humain de toute exploitation. A ce moment en effet certains expérimentateurs réclamaient le droit d'utiliser jusqu'au 14ème jour de leur vie des embryons conçus in vitro. Ils prétendaient que cette licence leur permettrait de mieux comprendre , voire de guérir, plusieurs affections redoutables dont la mucoviscidose, la dystrophie musculaire, l'hémophilie et la trisomie 21.

Pourtant, il était évident qu'on ne pouvait pas étudier la pathologie pulmonaire, la physiologie musculaire, la coagulation sanguine ou encore le fonctionnement cérébral, sur des embryons de 14 jours chez qui justement les poumons, les muscles, le sang, le cerveau ne sont pas encore individualisés. De plus, aucun protocole ne pouvait et ne peut toujours démontrer que ces investigations n'auraient pas pu être menées in anima vili et que l'expérimentation sur des membres de notre espèce était techniquement nécessaire.

Cet appétit de chair humaine avait cependant une raison. Dans les pays longtemps civilisés, qui ont aboli par décret ce que depuis deux mille ans et plus, tous les maîtres de la médecine avaient constamment juré "je ne procurerai pas de poison ni suggérerai pareil usage et je ne procurerai pas de moyens abortifs", la vie de l'être humain très jeune n'a plus aucune valeur. Alors qu'un embryon de chimpanzé coûte toujours fort cher; il faut bien entretenir l'élevage.

En deux ans les progrès de la biologie moléculaire ont permis d'isoler les gênes de la mucoviscidose, de la dystrophie musculaire, de la chorée de Huntington et du retinoblastome, sans qu'un seul embryon humain ait été sacrifié pour cela. Des prélèvements minimes sur des patients consentants ont permis toutes les investigations nécessaires.

Aucune des découvertes majeures des deux dernières années n'a violé le respect de la nature humaine.

Quant au facteur antihémophilique qui permet aux malades de mener une vie normale, des bactéries habilement modifiées par génie génétique, le fourniront bientôt en abondance, éliminant ainsi le dernier risque de transmission du SIDA par des produits sanguins contaminés.

Cette dernière maladie, le SIDA, est d'ailleurs un exemple de la difficulté des prédictions dites scientifiques. Autant qu'on puisse l'affirmer, aucun généticien, aucun inmunologiste n'avait prévu l'existence d'un virus capable de sidérer les défenses de l'organisme mais affecté d'une fragilité si grande que seule l'injection intraveineuse ou intrarectale, puisse en assurer la sémination. La transmission contre nature, par échange de seringues chez les drogués ou par sodomie chez les homosexuels n'était prévue dans aucun traité d'épidémiologie.

Quant aux recherches sur les maladies de l'intelligence, et en particulier la trisomie 21, elles se poursuivent sans que les patients, quel que soit leur âge, aient à redouter un manque de respect de la part des chercheurs.

Ces remarques ne signifient nullement que toutes ces maladies sont déjà vaincues. Plus simplement, elles permettent d'affirmer, en se fondant sur l'expérience la plus ancienne et la plus récente que respecter la nature humaine n'empêche pas le progrès mais bien plutôt le stimule.

Les promoteurs de l'avortement eugénique ou de l'exploitation technique des embryons humains ont cru pouvoir enfermer les médecins catholiques dans un cruel dilemme:

- ou bien vous prenez part à cette mission de recherche et de destruction, et vous participez au massacre des innocents;
- ou bien vous refusez de soulager l'angoisse des familles redoutant la naissance d'un enfant incurable et vous vous en lavez les mains.

Non, la médecine n'est pas forcée de choisir entre deux rôles affreux celui d'Hérode ou celui de Pilate.

La victoire sur la maladie est possible, et bien que je ne possède nullement le don de la prophétie, il est une chose dont je suis totalement assuré: les médecins respectueux de la vie, n'abandonneront jamais, et Deo juvante, l'emporteront un jour.

Faust et Promothée

S'il est une question qui hante la réflexion des hommes c'est bien celle du péril atomique. L'Académie Pontificale s'est à plusieurs reprises souciée de cet immense danger.

Le terrible et le merveilleux esprit prométhéen qui nous pousse à dérober le feu du ciel a conféré à notre génération une puissance incommensurable avec notre propre prudence. En forgeant, à coups de génie, des armes énormes capables de détruire la civilisation, les fils de Tubalcaïb ont mis en danger l'humanité tout entière.

Mais par un étrange abandon, certains fils d'Esculape dont l'unique mission était de protéger la vie, paraissent aujourd'hui changer de camp. Eliminer les mal portants, requérir contre l'innocent, ou exploiter le plus faible, tout cela pour s'arroger le pouvoir de manipuler l'être humain, est peut-être un danger moins bruyant et moins aveuglant que celui des engins atomiques, mais c'est peut-être une bombe encore plus puissante pour détruire les dernières défenses morales de la société.

Faust qui fut le premier, même en rêve, à fabriquer un homoncule dans une bouteille, et qui par la magie de Méphistophélès construisit un monde sans amour et sans Dieu et Prométhée qui fut le premier à voler la foudre, pour livrer à ses successeurs l'énergie qui fait étinceler les soleil, ces deux figures ne sont pas seulement des fictions poétiques. Elles ont aujourd'hui les deux faces du pouvoir redoutable que peut nous conférer la science sans conscience, ultime tentation de l'orgueil absolu.

Autant et plus peut-être que les physiciens atomistes, les médecins et les professions de santé ont besoin d'une évangélisation nouvelle. Elle est très simple en vérité: nous savons par la douloureuse expérience de l'explosion nucléaire et de l'expérimentation humaine que la Science seule ne peut pas sauver le monde.

Alors, permettez-moi, Pères très vénérés du Synode, de vous soumettre la conclusion à laquelle je suis personnellement arrivé. Dans toutes les questions morales soulevées par les applications possibles de la science, de la rhétorique passionnelle et la dialectique habile parviendront presque toujours à farder la vérité. Les Comités d'Ethique éructeront solennellement leurs oracles contradictoires sans écarter la vraie menace: la technique est cumulative, la sagesse ne l'est pas.

Mais une phrase une seule, dictera notre conduite. L'argument qui ne trompe pas et qui d'ailleurs juge tout, le mot même de Jésus : "Ce que vous avez fait au plus petit d'entre les miens c'est à moi que vous l'avez fait".

Si les théoriciens de la physique et les praticiens de la biologie n'oublient jamais cette phrase, les techniques les plus puissantes resteront au service de la famille des hommes. Mais s'ils l'oublient, alors tout pourrait être redouté d'une science dénaturée.

[Sursum Corda]